L’effet matrice est une notion émergente en nutrition. Apparue en 2014, elle devrait bouleverser la discipline. Les perspectives qu’elle ouvre sont en effet innombrables, tant en recherche qu’en santé publique.
Mais de quoi s’agit-il? Le docteur Jean-Michel Lecerf, responsable du service nutrition à l’Institut Pasteur de Lille rencontré lors d’une conférence donnée à Madrid, dans le cadre du 40ème Congrès de la Société Européenne de nutrition clinique (ESPEN), résume le concept en une phrase. « Nous ne mangeons pas des nutriments, mais des aliments ». Élémentaire, voire simpliste allez-vous dire. Pas tant que cela! Les nutriments : lipides, glucides, protéines, micro-nutriments etc… ne suffisent pas à faire l’aliment.

Jean-Michel Lecerf
L’effet matrice : un aliment ne se cantonne pas à la somme des nutriments qu’il contient
Depuis plusieurs années des chercheurs présentent des travaux sur l’effet matrice. Ils estiment que la valeur nutritionnelle d’un aliment ne se cantonne pas à la somme des nutriments. En réalité, elle varie en fonction de la structure des nutriments, et des interactions avec les autres constituants de l’aliment. «Nous mangeons des aliments, pas juste des nutriments. La façon dont ces derniers sont intriqués a un réel impact sur leur biodisponibilité », explique Jean-Michel Lecerf, responsable du service nutrition à l’Institut Pasteur de Lille.
Quelques exemples
Les yaourts et les fromages ont un effet plus bénéfique sur la santé osseuse, le poids corporel et la diminution du risque de maladies cardiovasculaires, que ne le serait la somme de leurs nutriments considérés isolément. Marie-Caroline Michalski* illustre cette thèse avec un autre cas : « Les amandes contiennent beaucoup de lipides, mais une partie d’entre eux reste non absorbée par l’intestin malgré la mastication. Non utilisés, ces lipides ne contribuent donc pas à la consommation d’énergie ».
*directrice de recherche à l’Inra,
L’aliment n’est plus considéré seulement comme la somme de ses constituants mais comme :
– une structure physique complexe qui influence le devenir digestif des nutriments et leurs effets métaboliques. In fine leurs effets sur la santé à long terme.
Alors, pourquoi ne pas créer des « néoaliments »?
Des néoaliments qui seraient constitués en empilant des nutriments et en mélangeant le tout. C’est oublier qu’un aliment est composé d’une multitude de constituants* organisés selon des structures physico-chimiques extrêmement complexes. Ceci signifie qu’il ne suffit pas de simplement rajouter un nutriment pour obtenir un effet.
*par exemple il y en a plus de 2000 dans le lait
Un exemple : celui du calcium.
Son absorption par l’intestin est très nettement supérieure lorsqu’il est apporté par les produits laitiers comparativement à la plupart des produits végétaux, à l’exception des choux. Mieux vaut donc boire du lait que manger des épinards! Tout simplement parce que la matrice laitière contient d’autres nutriments comme des phosphopeptides et du lactose qui potentialisent l’absorption du calcium alors que les épinards contiennent des oxalates qui inhibent l’absorption du calcium.
Un nutriment ne suffit pas à faire l’aliment
Classiquement calcium = lait et produits laitiers. Ce qui est vrai puisque les produits laitiers sont la première source de calcium dans l’alimentation des Français. Mais en terme de santé, les produits laitiers ne se réduisent pas au calcium. En témoignent les études comparant l’effet de la même quantité de calcium isolément ou sous forme de produit laitier.
Ainsi une étude a été menée concernant la masse osseuse de 195 jeunes filles participant à un essai d’intervention qui a duré 2 ans. L’objectif était de comparer l’effet du calcium sur le gain de masse osseuse – évalué par l’évolution de la densité minérale osseuse – en fonction de sa source. Résultat : la consommation régulière de fromage a entraîné un gain de masse osseuse supérieur au calcium médicamenteux, associé ou non à la vitamine D.
Sur le plan de la santé
Côté santé, les effets des nutriments dépendent donc des aliments qui l’exportent. « Des aliments différents, avec une même quantité d’un constituant, ne seront pas forcément équivalents sur le plan nutritionnel ou santé. Au-delà de ses nutriments considérés isolément, il faut penser l’aliment comme ayant un rôle multifonction » résume Jean-Michel Lecerf. Et il conclue : « Il y a eu la tendance qui consistait à appauvrir les aliments, puis celle de les enrichir. Nous mangeons des aliments, pas juste des nutriments. Vous n’invitez pas vos amis en leur disant viens dîner je te fais des protéines ! La façon dont ces derniers sont intriqués, a un réel impact sur leur biodisponibilité. Il est temps d’envisager la nutrition dans une nouvelle perspective holistique, à l’interface de la science des aliments et de la nutrition humaine ».
Retrouvez la vidéo de Jean-Michel Lecerf « Nous ne mangeons pas des nutriments mais des aliments » sur le site du Cerin :
www.cerin.org/interviews/ne-mangeons-nutriments-aliments/
Copyright : Frédérique Lebel
Les commentaires ne sont pas disponibles!