« Je tiens l’affaire… » c’est en ces termes que le 14 septembre 1822, Jean-François Champollion, annonce à son frère aîné qu’il a enfin trouvé décrypté les hiéroglyphes. Avant même de transmettre l’information au secrétaire perpétuel de l’Académie, Bon-Joseph Dacier.
Cette lettre ne parviendra à l’intéressé que treize jours plus tard, le 27septembre. Outre la nouvelle proprement dite, elle comprend un alphabet hiéroglyphique et plusieurs planches explicatives.
23 ans avant Champollion : la pierre de Rosette
Contrairement à ce qu’on croit souvent, Champollion ne participe pas à la désastreuse expédition d’Égypte. Il a huit ans en 1798 ! Il faut rendre hommage au lieutenant Bouchard qui tire des ruines du fort de Rosette un bloc de granit gravé d’un texte en trois écritures. Il en comprend le potentiel : Le grec va conduire au décryptage des deux autres, en hiéroglyphe et en démotique sa version simplifiée. Plus facile à dire qu’à faire, il faudra encore 23 ans pour résoudre le problème. Napoléon avait l’art de transformer les défaites en victoires, Mais c’est à son insu que l’expédition débouche après sa mort sur la Victoire des Hiéroglyphes qui ouvre la voie à l’égyptologie. La pierre de Rosette suit les déboires de l’armée bloquée en Égypte avec ses savants. Le chantage des Anglais qui s’approprient leurs découvertes. Dont bien sûr la précieuse « pierre », dont on a pu faire quelques estampages.
Champollion et l’égyptomanie
À l’époque Champollion est un garçonnet de 9 ans, déjà passionné de langues anciennes. Il maîtrise vite le grec mais bientôt aussi l’hébreu et surtout le copte, héritier lointain de la langue des pharaons. Ce qui lui donne un avantage certain sur ses concurrents. Il lui faudra quand même près de 15 ans et beaucoup de travail pour décrypter et comprendre les signes mystérieux. D’autant que l’époque est fertile en bouleversements politiques et guerriers peu propices à la sérénité du travail. Mais c’est aussi l’époque où une vague d’égyptomanie envahit les arts décoratifs français dans la foulée du « Retour d’Égypte » de Bonaparte. L’Obélisque n’est pas encore à Paris, mais sphinx, palmettes, lotus, envahissent sièges et meubles. Quant aux hiéroglyphes… il faut encore attendre. Champollion est au travail, c’est seulement sept ans après la chute de Napoléon qu’il peut enfin s’écrier « Je tiens l’affaire… »
Le Secret dévoilé
200 ans plus tard, divers événements commémorent cette découverte. Une exposition à la BNF, au printemps, deux autres à Lyon et à Lens, une à Grenoble. Plus les musées permanents consacrés à Champollion : un à Figeac, sa ville natale, et un autre dans la maison de Vif, en Isère où il vécut et travailla sous la tutelle de son frère aîné. C’est la BNF qui dès le début du printemps dévoilait « Le Secret des hiéroglyphes ». Grâce aux nombreux documents qu’elle possède. Environ 88 volumes de notes et dessins de la main même de Champollion. Un carnet de notes agrémenté de dessins d’inscriptions relevées sur des sarcophages ou des stèles, une « grammaire égyptienne » manuscrite. Et les premiers daguerréotypes que Champollion n’a pu connaître, mais dont ses successeurs ont fait un large usage. Ils remplacent avantageusement les relevés manuels auxquels les savants de Bonaparte et lui-même étaient condamnés.
Sous le regard du « Scribe »
L’exposition inaugurée à Lens fin septembre est la plus complète. Sous le regard vigilant du Scribe accroupi, environ 350 œuvres, et documents racontent la longue aventure qui mena à leur décryptage. On y fait la connaissance du jeune Champollion, sa formation à Grenoble sous le contrôle de son frère, ses études parisiennes. Son attirance pour les langues anciennes le conduit à s’intéresser aux hiéroglyphes égyptiens. Il est aussi porté par la vague d’égyptomania qui suit l’expédition de Bonaparte à laquelle, il n’a évidemment pas participé. Mais il en connaît les résultat grâce aux 22 volumes de la Description de l’Égypte parus en1821. Les nombreux hiéroglyphes relevés par les savants complètent ceux de la pierre de Rosette. Un estampage de travail figure à l’exposition, ainsi que divers sculptures, peintures et papyrus des collections du Louvre. Ainsi bien sûr qu’un exemplaire de la lettre à Dacier.
Sultan versus Pharaon
L’exposition évoque aussi l’intérêt porté à l’Égypte par les érudits de la Renaissance et les premières tentatives de décryptage. H. Robert imagine une farandole de jeunes danseuses autour d’un obélisque et d’une pyramide. Un peu plus tard L-F. Lejeune donne une image idéalisée de la Bataille des Pyramides. C’est à juste titre qu’on voit aussi un portrait de Méhémet Ali qui dirige l’Égypte en tant que vice-sultan de 1804 à 1849. En bon musulman, la civilisation des pharaons lui indiffère. Pire, dans son enthousiasme modernisateur, il projette de déconstruire les pyramides pour en faire un barrage sur le Nil ! Quand Champollion arrive en Égypte en 1828, il constate que certains monuments référencés en 1798 ont disparu. Le sultan finit par comprendre l’intérêt de l’Égypte antique dans ses rapports avec l’Europe. C’est lui qui offre à Charles X l’obélisque de Louxor, que Champollion ne verra pas arriver.
Un certain Monsieur Artaud
L’exposition inaugurée au musée des Beaux-Arts de Lyon dévoile un aspect moins connu, ou moins médiatisé du parcours de JF Champollion. Sa relation avec François Artaud, premier directeur du musée, son aîné de 23 ans, Il y développe le département des antiques, surtout l’Égypte après le retour des savants de Bonaparte. Les objets et documents commencent à circuler chez les érudits et les collectionneurs et certains aboutissent au musée. Champollion rencontre François Artaud en 1808, au moment où il se focalise sur son grand projet. Cette relation sera essentielle pour son travail. Artaud lui transmet un certain nombre de documents originaux qui complètent ceux de la pierre de Rosette. Il le met aussi en contact avec des collectionneurs et marchands d’antiquités. L’élite intellectuelle de Lyon et d’ailleurs n’a pas attendu Champollion pour s’intéresser à l’Égypte.
Lyon, berceau de l’égyptologie ?
Dès le retour de l’expédition, voire avant, des objets rapportés par des voyageurs intègrent collections privées et cabinets de curiosité. François Artaud en acquiert certains pour le compte du Musée. Près de 20 ans avant le département égyptien du Louvre dont Champollion sera l’initiateur et premier conservateur. Une vraie amitié unit les deux hommes qui restent en contact épistolaire jusqu’à la mort de Jean-François en 1832. Une partie de leur correspondance figure dans l’exposition, ainsi que des archives inédites de Champollion, commentant des œuvres du musée pour son ami Artaud. Les 150 objets (figurines, stèles, papyrus, cercueils peints) formant l’exposition du bicentenaire proviennent en grande partie du Cabinet Artaud racheté par la ville en 1835.
À Figeac, l’Aventure de l’Écriture
Parallèlement à ces trois grandes expositions, il existe des lieux plus intimes où l’on peut aussi rencontrer Jean-François Champollion À Figeac où il naît en 1790 dans une maison devenue un musée à sa mémoire. Ce n’est pas là qu’il mène ses travaux puisque dès ses dix ans son frère aîné l’emmène à Grenoble pour se charger de son éducation. Faute de témoignages directs, le musée dépasse la question des hiéroglyphes et choisit de raconter toute l’aventure de l’écriture. Des tablettes cunéiformes du IVe millénaire à un édit de Ptolémée III du IIIe s av. J.-C. en passant par un sceau indien du 3e millénaire. Sans oublier des tablettes et cylindres cunéiforme de 2000 ans av JC, des papyrus égyptiens, des éléments de sarcophages polychromés. Et bien sûr un moulage de la pierre de Rosette. Les initiés peuvent aussi déchiffrer le texte du Livre des morts sur les bandelettes d’une momie ptolémaïque.
À Vif, la vie de famille
Pour rencontrer le personnage, il faut aller à Vif, près de Grenoble dans la propriété où l’accueillaient son frère et sa belle-sœur. La maison n’ayant jamais été vendue avant sa cession au Conseil général de l’Isère, on y sent encore la présence des derniers occupants. Jacques-Joseph, son épouse Zoé et leurs enfants sont toujours là en effigie. Au dernier étage, on a l’impression que Jean-François vient de quitter sa chambre. Son lit et son bureau d’acajou y sont toujours. Outre l’inévitable estampage annoté de la pierre mythique, les poutres conservent des graffitis hiéroglyphiques de sa main ! On y voit aussi la tunique et la chechia qu’il arborait pendant son voyage en Égypte. Une dernière acquisition et non des moindres a eu lieu en juin dernier à l’Hôtel Drouot. L’État a préempté pour le compte du musée, sur l’enchère de 23 445€, trois carnets ornés de 148 dessins exécutés lors du même voyage.
Informations pratiques
Lens -Champollion, la Voie des Hiéroglyphes
28 septembre 2022 – 16 janvier 2023
Musée du Louvre-Lens – 99 rue Paul Bert 62300 Lens
Ouvert chaque jours sauf mardi, 10-18h
Entrée – 11€, TR: 5€ – Gratuit pour les moins 18 ans
Renseignements et réservations
Tel: 03 21 18 62 62
site : www.louvrelens.fr
Lyon -A la recherche des hiéroglyphes oubliés
1e octobre -31 décembre 2022
Musée des Beaux Arts – 20 Place des Terreaux – 69001 Lyon
Ouvert chaque jours sauf mardi, 10-18h, (10h30-18h00 le vendredi)
Entrée – 8€, TR: 4€, Gratuit pour les moins de 18 ans
Renseignements et réservations
Tel : 04 72 10 17 40 – site: www.mba-lyon.fr
Vif-Maison Champollion
Domaine des Ombrages 45, rue Champollion 38450 Vif
Ouvert chaque jour 10h-12h30 et 13h30 18h 10h17h à patir du 1e novembre
Renseignements et réservations : 04 57 58 88 50
Email : musee-champollion@isere.fr
site: https://musees.isere.fr
Figeac – Musée des Écritures du Monde
Place Champollion – 46100 Figeac
Ouvert chaque jours sauf lundi 10h30-12h30 et 14h à 18h (14h -17h30 à partir du 1e novembre)
Entrée : 5€ TR: 2,50€ – Gratuit pour les moins de 12 ans
Renseignements et réservations :Tél. 05 65 50 31 08
Email : musee@ville-figeac.fr
Photo d’ouverture de l’article : Cercueil de Henen © Musée du Louvre RMN Grand Palais ph. Georges Poncet
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