Extravagance dites-vous ? Drôle de titre pour une exposition consacrée à la porcelaine ! Pas tant que cela pourtant à voir les objets exposés en ce moment dans les grands appartements du château de Chantilly.
Avec une mise en scène extravagante elle aussi, de l’architecte new-yorkais Peter Marino. On se croirait tour à tour dans un jardin ou une volière, des fleurs de toutes couleurs, des oiseaux venus d’ailleurs.
Extravagance et exotisme
C’est que les débuts de la porcelaine coïncident en Europe avec le goût de l’originalité qui anime la société du XVIIIe siècle. Les amateurs sont attirés avant tout par les curiosités dont les marchands merciers de Paris se sont fait une spécialité. On les appelle aussi “objets de lachine“ à cause de l’attrait qu’exercent les objets venus d’Asie: soieries, laques, porcelaines. Les chasseurs d’épaves trouvent même parfois sur les lieux d’un naufrage, des piles d’assiettes et de bols destinées à l’Europe. Dès le XVIe, les voyageurs occidentaux en Chine découvrent ces céramiques blanches et fines, si différentes des faïences européennes. Un commerce ne tarde pas à s’établir entre l’Asie et l’Europe où les amateurs de nouveauté s’arrachent ces objets venus d’ailleurs.
Extravagance et expériences
Outre leur finesse, on apprécie l’exotisme des décors de fleurs, de pagodes et de personnages aux coiffures et vêtures bizarres. “Comment peut-on être Chinois ?“ Certains envoient même là-bas des modèles pour faire fabriquer à leurs armes, des services qui surprendront leurs invités. Via les “Compagnies des Indes“ qui fleurissent un peu partout en Occident et font la fortune de leurs actionnaires. Au détriment des céramistes européens qui s’efforcent de fabriquer eux-mêmes ces objets nouveaux venus d’ailleurs. Il est facile de copier les formes et les décors, mais pas la translucidité qui distingue la porcelaine de la faïence la plus fine. A force d’expériences à base de cailloutis, chaux, phosphate, etc., on obtient quelque chose qui s’apparente aux produits chinois.
Le secret du kaolin
Les artistes florentins produisent dès la fin du XVIe siècle, des plats et vases à décor bleu sur blanc réellement translucides. Sauf que cette “porcelaine Médicis“ n’a pas la résistance du modèle chinois et se raye à l’usage. La dureté des produits asiatiques vient de l’utilisation du kaolin qui vitrifie à la cuisson, ce qu’ignorent. Le premier à percer ce secret, dès 1709, est le chimiste saxon Friedrich Böttger, qui dispose en outre d’importants gisements. C’est ainsi que se développe à partir de cette date, la manufacture de Meissen, sous la protection de l’Electeur Auguste le Fort. Avec interdiction sous peine de mort de dévoiler le secret. En France, il faudra attendre la découverte en 1769 de gisements de kaolin de Saint-Yrieix, pour produire de la porcelaine dure.
Le Prince et l’Electeur
Le prince Louis de Condé n’attend pas cette date pour créer en 1725 sa propre fabrique à Chantilly, de porcelaine tendre, forcément. La manufacture bénéficiera dix ans plus tard d’un privilège royal. Tout comme l’Electeur de Saxe, le Prince est un grand amateur de porcelaines chinoises. Malgré les cachotteries du kaolin, des échanges actifs, voire confraternels ne tardent pas à s’établir entre Meissen et Chantilly. C’est sur ce dialogue que Mathieu Deldicque, conservateur au musée Condé, a conçu l’exposition qui se tient actuellement au château. Dont certains de ses aspects étonneront peut-être les visiteurs. De la porcelaine de Chantilly le public connaît les pièces classiques, assiettes, tasses, cafetières à décor floral bleu sur blanc. Ainsi que les décors polychromes dits Kakiemon, inspirés du Japon, qui n’ont rien de vraiment “extravagants“.
L’heure de la chinoiserie
A part certaines pièces ornementales volumineuses, tant de Meissen que de Chantilly dont l’exposition offre quelques exemplaires. Les plus spectaculaires sont les pendules, accessoires indispensables des salons aristocratiques. Sur la cheminée, entourée ou non de flambeaux assortis, la pendule est aussi un élément de décor qui autorise toutes les fantaisies. Les marchands merciers ont l’art de l’agrémenter de personnage, d’animaux, dans des rocailles en bronze doré. On installe le cadran sur le dos d’un éléphant ou d’un rhinocéros, animaux exotiques que les sujets de Louis XV avaient rarement vus. Pas davantage que les Bouddhas et les chiens de Fô qui font aussi de très jolis bougeoirs. Encore moins les Chinois à longues moustaches et chapeaux pointus ou les Turcs enturbannés. Sans parler des singes déguisés en courtisans ou en musiciens…
Singes musiciens et oiseaux rares
Star de ces extravagances horlogères, la pendule à orgue imaginée par Kandler, animée d’un orchestre de singes. Dans des bosquets de fleurs en pâte tendre serties d’une rocaille de bronze doré de Duplessis. Dans ce bestiaire de singes, biches et éléphants, les oiseaux se taillent la part du lion. Principalement les rapaces : aigles, aras, vautours, butors, faucons… Ces oiseaux de proie cohabitent dans les salons de Chantilly avec des volatiles plus pacifiques. Héron au long cou, loriots et colibris, rolliers et perroquets multicolores. Sans oublier une poule padoue et ses petits et un coq en pâte tendre, seul natif de Chantilly au milieu de cette volière saxonne. Il faut dire que l’Electeur Auguste le Fort, outre l’amour de la porcelaine, avait aussi une véritable passion des oiseaux en général et de la fauconnerie en particulier.
Extravagance
Informations pratiques
La Fabrique de l’Extravagance, Porcelaines de Meissen et de Chantilly
Jusqu’au 3 janvier 2021
Château de Chantilly, Grands Appartements
60500 Chantilly
Ouvert chaque jour sauf mardi de 10h à 18h (10h-20h pour le parc)
Entrée : 17€ (château, parc, Grandes Ecuries, expositions temporaires)
TR : 13,5 € (château, parc, Grandes Ecuries, expositions temporaires)
https://domainedechantilly.com/fr/
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