“Qu’est-ce que tout le monde a de nos jours avec Velasquez ? je préfère mille fois Greco. Lui était un vrai peintre !“ Cette boutade de Picasso, injuste pour Velasquez, exprime mieux que tout l’admiration des artistes modernes pour le Greco. Pourtant, le Crétois de Tolède n’avait encore jamais eu droit en France à une rétrospective digne de ce nom. Voila pourquoi l’exposition actuelle du Grand Palais fait figure autant événement que celle consacrée au Louvre à Léonard de Vinci. Il est vrai que Doménikos Theotokópoulos, alias El Greco, est un peintre déroutant déjà à son époque. Maniériste bien sûr, mais à sa manière, en réalité il n’est d’aucune école, venu d’ailleurs, il reste lui même.
Le Greco de la Crête à l’Italie
Le Greco commence sa carrière dans sa Crête natale, en peintre d’icônes. Mais l’île devient vite trop étroite pour ses ambitions. En 1567 à 26 ans, il gagne Venise où il rencontre le Titien quasi octogénaire. S’il peine à s’imposer à l’ombre du vieux maître, il retient de lui l’art de faire vibrer les couleurs. Et un certain art du portrait où il excellera toute sa vie : costume noir garni d’une fraise ou d’un col blanc qui met le visage en valeur. En 1603, c’est ainsi qu’il représente son propre fils, Jorge Manuel à l’âge de 25 ans. En 1570, Doménikos quitte Venise et tente sa chance à Rome, où on n’a pas vraiment besoin de lui. Les artistes de talent ne manquent pas dans la Péninsule même après la mort de Michel Ange. Au contraire, l’Espagne de Philippe II où afflue l’or du nouveau monde est à la recherche d’artistes de talent.
En Espagne il devient “El Greco“
C’est donc à Tolède, après un passage un peu décevant par Madrid, que s’installe le jeune Crétois. L’ancienne capitale d’Isabelle la Catholique est restée un centre culturel actif et ouvert aux artistes, même venus d’ailleurs. Cette Espagne de Thérèse d’Avila et de Jean de la Croix est aussi celle d’une Contre-Réforme agressive appuyée par l’Inquisition. Dès son arrivée en 1577, Doménikos reçoit une importante commande pour le monastère Santo Domingo, de huit tableaux et cinq statues. Dont la monumentale Assomption de la Vierge qui domine l’exposition du Grand Palais comme autrefois le maître autel de l’église du couvent. Le roi lui même lui commande une l’Adoration du nom de Jésus, appelée aussi le Songe de Philippe II, conçue dit on pour commémorer la victoire de Lépante en 1571.
C’est ainsi que l’ex jeune peintre d’icônes orthodoxes devient le glorificateur de la mystique catholique.
Dans l’ombre des couvents
C’est sans mysticisme qu’il négocie âprement ses contrats quitte à entrer en procès avec ses commanditaires. Avec raison puisque les commandes s’enchainent, toujours pour les églises ou établissements religieux où beaucoup sont conservées. Ce qui explique l’absence au Grand Palais de certaines œuvres majeures. L’emblématique et monumental “Enterrement du Comte d’Orgaz“ ne quitte pas l’église San Tomé de Tolède où il fut livré en 1588. Et on ne verra qu’une réplique de l’Expolio (partage de la Tunique du Christ) de la cathédrale de Tolède . Les 76 œuvres présentées permettent néanmoins d’appréhender toutes les facettes se son talent. Des icônes à fond or de ses premières années de carrière, aux grandes compositions à multiples personnages en passant par les portraits en noir et blanc. C’est ainsi qu’en 1580 il représente Sainte Véronique présentant le linge où s’est imprimé le visage du Christ.
L’Apocalypse selon le Greco
Les grandes toiles font valoir ses talents de coloriste, des oppositions de jaune et de vert et surtout un carmin éclatant dont il drape le Christ de l’Expolio. Qu’on retrouve en contrepoint du curieux vêtement bleu dont il habille son Saint Jean au premier plan de L’Ouverture du Cinquième Sceau. En revanche, les fantômes des martyrs à l’arrière blanc de cette vision d’Apocalypse sont traités en camaïeux de bleu gris blanc : “Je vis sous l’autel les âmes de ceux qui avaient été immolés à cause de la parole de Dieu et du témoignage qu’ils avaient rendu“. C’est aussi le cas de la grande Crucifixion livrée en 1595 pour un couvent de Tolède, sur fond de ciel d’orage, conservée aujourd’hui au Louvre.
Purgatoire et résurrection
Le Cinquième Sceau, destiné à l’Hôpital Tavera de Tolède, sera une des dernières œuvres du Greco, qui s’éteint en 1614 à 73 ans.
L’artiste sombre ensuite dans un purgatoire de près de trois siècles. Sa manière de peindre ne correspond plus à l’esthétique baroque du XVIIe siècle. Encore moins à la peinture de genre du XVIIIe, ou à l’académisme du XIXe.
Les romantiques le redécouvrent avec intérêt, sans vraiment le comprendre, Théophile Gautier le voit comme un “fou de génie“. Maurice Barrès le tient “en suspicion“ Proust voit dans le Comte d’Orgaz “un vaudeville joué par des personnages en chemise de nuit“. Cocteau en revanche n’hésite pas à le comparer à Michel-Ange
Les meilleurs juges sont encore les artistes, de Degas à Picasso en passant par Cézanne. Ils ne mesurent pas leur admiration pour ce peintre anticonformiste trop longtemps oublié, en qui ils voient à juste titre, un précurseur.
Info pratiques
Le Greco
Du 16 octobre 2019 au 10 février 2020
ouvert chaque jour sauf mardi,
Lundi jeudi dimanche : 10h-20h,
mercredi, vendredi et samedi : 10h22h
Entrée 13€ TR : 9€, gratuit pour les moins de 16 ans,
Galeries nationales du Grand Palais, (entrée galerie sud-est)
Avenue Winston Churchill 75008 Paris
informations et réservations : www.grandpalais.fr
A lire aussi sur le Site Dynamic Seniors : https://dynamic-seniors.eu/guerlain-gaia-que-deviens-tu/
Les commentaires ne sont pas disponibles!