Jean-Luc Van den Heede, VDH, a posé son sac de marin aux Sables d’Olonne (Vendée) il y a 19 ans. Il ressemble à un vieux loup de mer à la Hemingway. La barbe blanche, l’œil vif et la poigne forte. D’une voix puissante et captivante, il vient nous raconter sa dernière grande course. La Golden Globe Race, qu’il a remportée cette année à l’âge de… 73 ans ! Rendez-vous est donné au Poisson à Roulettes, un sympathique bistrot au cœur du quartier de la Chaume.
Jean-Luc Van den Heede, une figure de la navigation en solitaire
L’homme est skipper depuis des décennies. Il a fait six fois le tour du monde en solitaire pour les plus grandes courses au large. Et détient le record du plus grand nombre de passages du Cap Horn en compétition. Ce passage, qui est un des plus dangereux au monde pour la navigation maritime, il l’a doublé 12 fois ! Depuis 2004, VDH détient le record du monde en solitaire à l’envers, réalisé contre vents et courants. Il a fait partie des deux premières aventures du Vendée Globe, 3e en 1990, 2e en 1993. Sans compter celles de la Route du Rhum (2e en 1988) et de la Transat Jacques Vabre (4e en 1993). À 74 ans, il tient toujours bon la barre.
« Je suis un compétiteur »
Depuis 2015, VDH a choisi de faire des régates en équipage. « Les régates, les trophées, les courses organisées sur la façade Atlantique, m’excitent. J’aime la compétition », explique-t-il. Mais lorsqu’il a appris qu’une course allait célébrer le 50e anniversaire du Golden Globe, son sang de marin n’a fait qu’un tour. Cette course autour du monde en solitaire, sans escale, sans ordinateur, ni aides à la navigation par satellite était faite pour lui ! Autres contraintes, les bateaux devaient être conçus avant 1988 et mesurer moins de 10,97 mètres. À 73 ans, Jean-Luc Van Den Heede s’est donc lancé dans cette aventure historique… pour gagner ! « Je suis un compétiteur ! J’aime l’inconnu… Cette course est une première, un véritable défi. On va revivre une aventure d’il y a 50 ans. Je ne me lance pas juste pour participer. Je joue pour gagner. Excitant non ? ».
« Tout est dans le mental ! »
Le 1er juillet 2018, VDH est au départ du Golden Globe Race avec 17 autres concurrents. Aussi fous et passionnés. Le marin a fort bien préparé sa course en amont. Il est le skipper le plus âgé, mais pour lui, ça ne compte pas. « Tout est dans le mental ! ». Il ne baisse jamais les bras, même quand son bateau chavire en endommageant le mat. Une redoutable lame a renversé le voilier. Le skipper se retrouve à l’envers, collé au plafond ! Par miracle, la quille redresse le bateau. Malgré le découragement, VDH se bat physiquement pour procéder aux réparations. Il suit sa stratégie jusqu’au bout et réussi à passer le Cap Horn quelque 3 700 kilomètres plus loin. Il fait le bon choix et le 30 janvier 2019, il franchit en tête la ligne d’arrivée aux Sables d’Olonne. Après 211 jours 23 heures et 12 minutes de course. Chapeau !
«Aujourd’hui les skippers embarquent leur ordinateur, nous, c’était la guitare»
On passerait des heures à écouter Jean-Luc Van Den Heede. Nous lui avons posé quelques questions qui vous révéleront la force et la simplicité de ce navigateur hors du commun.
Qu’est-ce qui vous a incité à participer à la Golden Globe Race ?
«La Golden Globe Race est un retour aux sources de la navigation à la voile : la mer, un bateau, un homme. Cette course privilégiait l’humain avant les dispendieux gadgets dont le marin a du mal à̀ se priver aujourd’hui. Pas d’écarts faramineux dans les budgets des participants. Tout le monde avait sa chance. Je me suis acheté un Ruslter 36 que j’ai remis à neuf en 2016. Six mois de travaux pour que mon Matmut soit prêt. J’ai voulu revivre, dans les conditions quasi identiques, ce qu’ont vécu les aventuriers du Golden Globe Challenge.»
Comment se sent-on lorsqu’on est coupé du monde pendant plus de 200 jours ?
« Lorsqu’on navigue il faut avoir une vie stricte et beaucoup de volonté. Il n’y a pas de spectateurs et on peut très bien rester couché et laisser faire le bateau. Il faut avoir la niake pour renvoyer la voile après un coup de vent ! C’est une question de mental, plus que de physique. La preuve, un vieux bonhomme comme moi y arrive ! »
Quel regard avez-vous sur la génération suivante ?
« On progresse tout le temps dans ce sport. Et de façon incroyable. La course au large est aujourd’hui très différente de celle qui existait il y a 50, 30 ou 20 ans. Aujourd’hui, c’est la technique. Les skippers embarquent leur ordinateur. Nous, c’était la guitare ! Si on regarde le Vendée Globe, Titouan Lamazon l’a gagné en 109 jours. En 2016, Armel Le Cléac’h l’a fait en 74 jours ! 35 jours de moins ! »
Vous avez eu peur ?
« Ça m’est arrivé plusieurs fois. Surtout lors du premier Vendée Globe. À l’époque il n’y avait pas de limites. Plus on descend et plus on prend le virage à la corde. Je suis tombé dans une zone où il y avait plein d’Icebergs… Là je n’étais pas fier ! »
Qu’est-ce qui vous a le plus ému ?
« Le truc qui m’a vraiment ému, c’est mon arrivée, un dimanche après-midi aux Sables d’Olonne, lors de mon premier Vendée Globe. J’étais 3e. Titouan Lamazou était arrivée 1er en pleine nuit, et Loïc Peyron, tôt le matin. Une foule incroyable m’attendait. Je ne m’y attendais pas du tout. J’avais déjà fait d’autres courses avec une arrivée aux États-Unis, mais quand il y avait 500 personnes, c’était bien ! Après ma conférence de presse, des centaines de gens me suivaient. Pour me féliciter, pour me parler, pour me remercier… [rire] »
L’an prochain, dans le Vendée Globe ?
« Et non,… Je ne suis plus du niveau et je suis trop vieux. Il faut d’abord avoir un bateau capable de gagner… Et trouver au moins 2 millions d’euros par an pendant 3 ans ! Pour moi, cette année seulement sept bateaux sont capables de remporter la course. Les autres feront de la figuration. Ils vont se battre mais auront peu de chance par rapport aux autres. Charal ou Hugo Boss seront bien placés. Personnellement, je compare ça au tennis. Jamais je ne jouerai contre Nadal. Ça m’ennuierai. Ce qui est intéressant c’est de jouer avec des adversaires de même niveau. Là on progresse. Dans le Vendée Globe, il y a ceux qui peuvent gagner et ceux qui vont faire leur possible. Pour moi, je ne vois pas l’intérêt de faire une course si on a aucune chance de gagner. »
Et aujourd’hui ?
« Après mon arrivée du Golden Globe Race, j’ai vendu mon Rustler 36 à un Néo-zélandais. Et je me suis acheté un nouveau bateau, course-croisière, à Barcelone. J’ai fait ma première régate avec lui en octobre. On est huit à bord et tous les quinze jours on participe à des régates. Ça, ça m’excite ! Sinon, je fais des conférences pour les entreprises. Je chante, aussi. Je fais partie d’un groupe de rock depuis une dizaine d’années. Ce que j’aime faire, c’est mettre l’ambiance ! Et puis j’écris. Je viens de sortir un mon 3e livre “Le dernier loup de mer” chez Stock. »
Pour conclure ?
« Je suis conscient que mon temps de vie se raccourcit. J’ai 74 ans et je ne veux pas tricher ! J’essaye donc de faire ce qui m’amuse, ce qui me plaît et ce qui m’intéresse. J’élimine tout ce qui m’emmerde et ne m’intéresse pas. Il faut éliminer la connerie ! »
Le livre de VDH : Le dernier loup de mer
Professeur de mathématique né à Amiens s’est très tôt pris de passion pour la mer. Grand lecteur des livres de grands navigateurs, il s’est mis à rêver d’être un jour comme eux. Et il l’a fait ! mieux encore en réalisant de nombreux exploits. Dans ce livre VDH, tel qu’on le surnomme, nous raconte son destin atypique et ses aventures extraordinaires. Sa plume est alerte, on plonge dans le livre sans vouloir le quitter.
“Le dernier loup de mer” de Jean-Luc Van Den Heede, vainqueur du Tour du monde en solitaire à 73 ans. 236 pages. 19,50 € Éditions Stock.
Site : https://www.vdh.fr
© Photos Caroline Paux
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