La ville de Moulins rend hommage à la plus emblématique de ses duchesses, Anne de France. Celle que son père Louis XI qualifiait de « Femme la moins folle de France, car de sage, je n’en connais point ». Misogynie ordinaire des temps moyenâgeux !
Moulins se souvient
Dans la bouche de Louis XI ces propos ont valeur de compliment. Aussi, sentant sa mort prochaine en 1483, c’est à Anne qu’il confie la tutelle du Dauphin âgé de seulement 12 ans. Soit le rôle de régente, sans en avoir le titre. Anne de France est l’une de ces femmes de tête dont la France de la loi salique ne fut pas avare. – Moins que la République égalitaire ! – Blanche de Castille, Jeanne d’Arc, Catherine de Médicis, Anne d’Autriche qui surent contre l’adversité, préserver l’intégrité du royaume. La fille aînée du roi Louis XI a quitté ce monde le 14 novembre 1522. A cette occasion, une exposition lui est consacrée dans sa bonne ville de Moulins. Elle permet de mieux connaître cette princesse un peu oubliée, appelée aussi Anne de Beaujeu. Du nom de son mari Pierre de Beaujeu, duc de Bourbon.
Moulins, capitale ducale
Anne peut compter sur l’appui de son époux Pierre de Bourbon. Comme toujours en cas de minorité royale, la régente va se heurter à l’opposition des « grands » du pays. C’est « La guerre folle », menée par le duc d’Orléans, futur Louis XII, qui pensait que la régence devait lui revenir. Les choses s’apaisent en 1488, quand le roi âgé de 18 ans est supposé apte à mener lui-même les affaires du royaume. Anne se retire dans son château de Moulins en 1491, après avoir négocié le mariage de Charles VIII avec Anne de Bretagne. Un coup de maître, qui unit le duché de Bretagne au royaume de France. Confirmé lorsque, après la mort accidentelle de Charles, la reine Anne épouse son successeur Louis d’Orléans, désormais Louis XII. Quant à la régente, elle reprend du service à titre intérimaire en 1494 quand Charles part conquérir le Milanais. Elle se retire définitivement des affaires après la mort du roi en 1498.
Duchesse et Protectrice des arts
Avec son époux Pierre de Bourbon, Anne règne en duchesse dans le château de Moulins, aujourd’hui détruit. Anne peut se consacrer pleinement à son rôle de protectrice des arts. Sous son règne la capitale du Bourbonnais devient un foyer artistique rayonnant. Dont la vedette est le peintre Jean Hey, longtemps connu comme « le maître de Moulins ». On lui doit plusieurs portraits d’Anne, dont celui où pose en donatrice, avec son mari sur le célèbre triptyque de Moulins. On y voit aussi, derrière sa mère leur fille Suzanne, adolescente, qui épousera plus tard son cousin le Connétable. L’œuvre est toujours conservée dans la cathédrale Notre-Dame, voisine du château, on peut aller la voir en sortant du musée.
Jean Hey, le Maître de Moulins
L’exposition comporte plusieurs peintures de Hey. Notamment un charmant portrait de la petite Suzanne à l’âge de 2 ou 3 ans, vêtue de blanc. Ou un autre de la jeune Marguerite d’Autriche, un temps promise à Charles VIII. Un beau portrait de ce dernier reste en revanche sans attribution. La sculpture est représentée par un ensemble de statues par où attribuées à Jean Guilhomet, sculpteur personnel d’Anne. Entre autres les saints Pierre, Anne et Suzanne, patrons respectifs du duc, de la duchesse et de leur fille. Provenant du château disparu, certaines sont conservées au Louvre. Ne cherchez pas dans les vitrines le collier de l’ordre de Saint Michel porté par Pierre, ni les pendentifs au cou des princesses. Et pas non plus la moindre verseuse en argent, tous ces objets précieux ont été perdus ou fondus. Seul témoignage de l’art de l’orfèvrerie, un diptyque retable en or émaillé à l’effigie de Saint Pierre et Sainte Anne.
Sainte Jeanne de France
Arrêtez-vous en revanche devant une petite chaussure en satin doré, à semelle compensée. Elle proviendrait de Jeanne, l’autre fille de Louis XI, boiteuse et contrefaite. Mais une bien belle personne elle aussi. Malgré son handicap, la princesse reçoit une éducation soignée, elle est intelligente, artiste, érudite, et très pieuse. Son père la marie à 12 ans au futur Louis XII. Elle aurait pu être reine, mais Louis, dès la mort de son beau-père, obtient l’annulation de son mariage. Ce qui lui permet d’épouser la veuve du défunt Charles VIII, Anne de Bretagne. Jeanne peut se consacrer à ses œuvres charitables et se retirer à Bourges au monastère de l’Annonciade qu’elle a fondé. Elle prend le voile en 1503 et s’éteint saintement deux ans plus tard à 40 ans. Jeanne de France sera béatifiée en 1742, puis canonisée en 1950 par Pie XII. On la fête le 4 février jour anniversaire de sa mort.
Vengeances et trahisons
Le reste de la famille est loin des béatitudes. L’époque est troublée pour le duché. Querelles intestines, jalousies, rivalités entre le nouveau roi François 1er et la maison de Bourbon. Ces bisbilles aboutissent en 1523, quelques mois après sa mort d’Anne, à la spectaculaire trahison de Charles, son gendre. Le Connétable de Bourbon, chef suprême des armées royales, porte son épée au service de Charles Quint, l’ennemi juré de François 1er ! Mal lui en prend, même s’il avait de bonnes raisons d’en vouloir au Roi et à sa mère. Il trouve une mort peu glorieuse quatre ans plus tard lors du siège de Rome. Et sa mémoire reste jusqu’à nos jours entachée de félonie. Ses biens sont mis sous séquestre et le duché démantelé. François 1er s’approprie notamment les manuscrits que le Connétable avait hérités de sa belle-mère. Ils intégreront la Bibliothèque Royale, fondée par le roi en 1544.
Les fleurons de l’enluminure
Ces manuscrits font aujourd’hui partie des chefs-d’œuvre de la Bibliothèque Nationale, devenue BnF. Pour la première fois depuis 500 ans, six d’entre eux retrouvent le chemin de Moulins où ils font l’objet d’une exposition à part. La ville fut à l’époque, le centre d’une importante production de manuscrits enluminés. Ils forment un aspect essentiel du mécénat du duc Jean II et de son épouse Jeanne de France. Anne et Pierre de Bourbon poursuivent avec brio cette activité. Certains des plus anciens proviennent de la duchesse Marie, fille de Jean de Berry, épouse de Jean Ier, mort en 1434. Notamment la Bible Historiale de Jean de Berry et les Antiquités Judaïques de Flavius Josèphe. On reconnaît les mains de Jean Hey et Michel Colombe dans le spectaculaire « Statuts de l’Ordre de Saint Michel, vers 1494/95. Le second a aussi collaboré aux Heures de Louis de Laval.
La fin d’une époque
Ces magnifiques ouvrages sont les derniers fleurons d’un art voué à disparaître. À la fin du XVe siècle nous sommes au tout début de l’imprimerie qui va bientôt sonner le glas du manuscrit, enluminé ou pas. Dès cette époque le livre imprimé commence à se répandre de manière irréversible, propageant à travers la monde la culture et les idées. L’art de l’enluminure se poursuit un temps sur les premiers incunables, remplacé parfois par la xylogravure et bientôt l’eau-forte. Mais il va disparaître à mesure que le livre devient un multiple de consommation courante accessible à tous. On n’arrête pas le progrès ! Même pour la maison de Bourbon qui accède au trône de France en 1589 en la personne d’Henri IV. Moins d’un siècle après la disparition d’Anne.
Infos pratiques
Exposition : Anne de France, Femme de pouvoir, princesse des arts Jusqu’au 18 septembre 2022.
Ouvert chaque jour, sauf lundi, 9h45 à 18h30, dimanches et jours fériés de 14h à 18h30
Entrée : 6 €. TR : 3 €.
Gratuité sous certaines conditions
Musée Anne-de-Beaujeu
5 place du Colonel Laussedat 03000 Moulins
Renseignements et réservations :
Tel : 04.70.20.48.47
Site internet : https://musees.allier.fr/410-presentation.htm
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