Le château d’Hérouville risque de vous surprendre. Derrière cette élégante bâtisse du Val-d’Oise se cache l’un des studios d’enregistrement les plus emblématiques au monde. Un lieu chargé d’histoire, où des légendes internationales ont posé leurs valises et donné naissance à des albums cultes. Aujourd’hui encore, son aura dépasse largement nos frontières, faisant d’Hérouville un nom à part dans l’univers de la création musicale.
De David Bowie à Elton John, en passant par Pink Floyd, Iggy Pop ou Higelin… la liste des artistes qui ont franchi les portes d’Hérouville ressemble à un panthéon musical. Tous venaient chercher ici une atmosphère unique, propice à la création. Entre les murs de ce château transformé en studio, des albums majeurs ont vu le jour. Portés par l’inspiration que ce lieu hors du commun semblait insuffler. Ce studio est devenu légende, parce qu’il a su attirer des légendes.
Hérouville, une demeure historique avant de devenir un studio
J’ai eu le privilège de visiter ce lieu hors du temps avec l’Association des Journalistes du Tourisme. Privilège, car il n’est pas ouvert au public, à l’exception d’une ou deux journées par an… Rien ne pouvait vraiment me préparer à l’émotion ressentie lors de cette visite. Jean Taxis, l’un des trois propriétaires actuels, ingénieur du son, nous accueille. Avec patience et précision, il nous raconte l’histoire incroyable de cette demeure.
Le château d’Hérouville est d’abord une bâtisse du XVIIIe siècle, construite sur les fondations d’un relais de poste. Il recevait autrefois voyageurs et chevaux entre Paris et la Normandie. Il fut aussi le théâtre de l’histoire d’amour entre George Sand et Frédéric Chopin. Colette ou encore Vincent Van Gogh y ont séjourné. La propriété est passée de main en main, a connu des transformations. Mais elle a conservé ce charme typique des demeures françaises, entre élégance classique et atmosphère champêtre.
Un studio né d’un coup de génie
En 1962, le compositeur Michel Magne, connu pour ses musiques de films (Fantômas, Les Tontons flingueurs, Angélique), devient propriétaire des lieux. Il rachète le château à la fille de Colette et décide d’y investir ses ressources et son énergie. Il rêve alors d’en faire un espace consacré à sa création artistique. En 1969, un incendie accidentel détruit l’aile nord… mais déclenche finalement l’idée géniale. Construire un studio dans l’aile sud et transformer le château en un lieu unique résidentiel. Les artistes pourraient y vivre, composer et enregistrer sous le même toit, à l’abri du tumulte urbain.
Sous l’impulsion de Michel Magne, le rêve prend forme. Très vite, le château d’Hérouville devient un rendez-vous incontournable pour les musiciens du monde entier.
L’aile Nord du château. Elle a été incendiée en 1969 et fera l’objet de rénovations grâce au loto du Patrimoine.
Un studio pensé comme un cocon pour les artistes
Au cœur du château, le studio d’Hérouville n’a rien d’un simple espace technique. Conçu sous les combles, il offre aux musiciens un environnement rare. La vaste salle d’enregistrement de 100 m², avec un plafond de 6 mètres de haut, est baignée de lumière naturelle. L’acoustique, travaillée avec soin, est unique. Les instruments sont mythiques, comme le piano Steinway… Tout est pensé pour favoriser l’inspiration. Ici, pas de stress urbain ni de rythme imposé. Les artistes prenaient le temps, entourés d’un confort discret et d’une atmosphère chaleureuse. Ils pouvaient ainsi y composer en toute liberté, sans contraintes horaires ni pression.
Des artistes de légende dans ce studio
Dès les années 1970, le pari est réussi. Elton John y enregistre Honky Château, un clin d’œil direct au lieu. David Bowie, Pink Floyd, Iggy Pop, les Bee Gees, Cat Stevens, Jacques Higelin, Michel Polnareff… La liste des artistes qui y ont séjourné donne le vertige. Tous ont été séduits par l’ambiance singulière d’Hérouville, entre luxe discret, isolement créatif et atmosphère chaleureuse. Certains y ont trouvé refuge pour fuir la pression des studios traditionnels. D’autres, l’inspiration pour écrire des morceaux devenus intemporels. Les studios tournent à plein régime, 20 heures sur 24 entre 1971 et 1973.
Une palette d’artistes exceptionnels est venue à Hérouville. En haut, au centre, Michel Magne entre David Bowie et Claude Nougaro. (Licence Creative Commons)
Le déclin du studio après le départ de Michel Magne
Après avoir cédé la gestion du studio en 1972 en raison de difficultés financières, Michel Magne s’éloigne progressivement du château. La gestion est alors reprise par Yves Chamberland, directeur du studio Davout, mais cette transition ne parvient pas à enrayer la dégradation financière. Malgré une tentative de redressement sous la direction de Laurent Thibault, à partir de 1974, le studio souffre. La perte de son fondateur et les tensions avec les nouveaux propriétaires n’est pas idéale pour redresser la situation. Elle se détériore au contraire, jusqu’à la fermeture définitive du studio en 1985, marquant la fin d’une époque.
La renaissance d’un lieu mythique
Après une longue période d’abandon, le château d’Hérouville retrouve une nouvelle jeunesse grâce à de nouveaux propriétaires. En 2015, Jean Taxis, Thierry Garacino et Stéphane Marchi décident de redonner vie au château. L’ampleur des travaux est immense : pas d’eau, pas d’électricité, pas de chauffage… Mais ils se disent que si le producteur Tony Visconti est venu ici cinq fois, il y avait bien une raison ! Ils relèvent donc le défi, avec l’idée non pas d’en faire un musée, mais un lieu d’exception tourné vers l’avenir. Les studios sont rénovés, innovants, dans le respect de l’esprit d’origine, avec des équipements techniques de pointe. Le studio George Sand est préservé au maximum. Un ingénieur acousticien américain de renom vient épauler l’équipe pour concevoir de nouvelles régies, situées un étage en dessous. Il fallait repartir de zéro !
Un studio qui séduit toujours les artistes
Les artistes continuent de venir enregistrer, portés par la magie intacte du lieu. Plus qu’un studio, Hérouville demeure un symbole de liberté créative et un témoin discret de moments musicaux exceptionnels. Plusieurs sessions d’enregistrements live sont tournées pour la chaîne Arte : Gregory Porter, Metronomy, Sting, Melody Gardot… Le studio se prête parfaitement aux captations live.
Le bouche à oreille fonctionne particulièrement bien dans le milieu musical, notamment aux États-Unis. Un jeune musicien américain vient même passer plus d’un mois pour composer et enregistrer ici. Dans la tradition des légendes passées. L’impression que les artistes feraient ici un album forcément un peu différent de l’album qu’il aurait fait ailleurs est encore vraie aujourd’hui. Une fois terminé, le château disposera de trois studios d’enregistrement.
Ma visite au château d’Hérouville : un moment suspendu
L’arrivée au château, entre histoire et nature
Le château d’Hérouville est l’une des perles du Val-d’Oise. Lors d’une visite découverte du département, impossible de manquer ce lieu mythique. Grâce à Val-d’Oise Tourisme, Jean Taxis, l’un des trois propriétaires, nous accueille. Il commence la visite par l’extérieur. Nous passons devant un bassin-abreuvoir octogonal, classé à l’inventaire des Monuments historiques. Celui-ci rappelle le passé de relais de poste du château. Les chevaux venaient s’y baigner et s’abreuver. Dans le parc, l’ambiance est à la fois paisible et mélancolique. La piscine, aujourd’hui délabrée, semble encore murmurer des souvenirs de fêtes et de nuits folles. Plus loin, un grand arbre tortueux, peut-être un pistachier de l’Atlas, porte à lui seul le poids du temps. Nous passons sur le devant du château et Jean Taxis nous montre une carte postale ancienne. Une partie centrale du bâtiment a disparu. L’aile nord, elle, est en attente de restauration.
À l’intérieur, les souvenirs des légendes
Nous pénétrons ensuite dans l’aile sud du château. La cuisine, simple mais fonctionnelle, semble encore vibrer des conversations d’artistes. Le facétieux Jacques Higelin, le provocateur Michel Polnareff, le gentleman Sting… tranquilles devant une assiette de soupe. Juste à côté, une grande pièce baptisée le “salon Elton”. Sur l’imposante cheminée, deux photos en noir et blanc montrent Elton John dans le château, et Iggy Pop, souriant et détendu. Sur le côté, David Bowie semble discuter dans la régie. Face à la cheminée, des pochettes de vinyles un peu passées affichent des noms qui font rêver : Elton John, David Bowie, les Bee Gees, Pink Floyd, Mick Ronson, Fleetwood Mac, Bill Doggett, Rex Foster… Chaque détail respire l’histoire musicale.
Dans le salon Elton, la cheminée arbore les portraits d’Elton John et d’Iggy Pop, témoins du passé musical du château.
Le studio George Sand, cœur vibrant du château
Nous montons ensuite à l’étage par un superbe escalier en pierre. Jean Taxis nous conduit vers le célèbre studio George Sand. C’est ici que tant d’albums mythiques ont vu le jour. Et là, face à moi : le piano utilisé par Elton John pour enregistrer et composer, notamment le célèbre “Candle in the Wind”. M’asseoir devant ce clavier, poser mes doigts sur les touches… un frisson. Un moment suspendu. Les murs semblent encore vibrer au rythme des accords joués ici par les plus grands du rock des années soixante-dix.
Dans le studio George Sand, près de la cabine voix, un canapé complice des silences et des respirations entre deux sessions.
Un lieu vivant, tourné vers l’avenir
Nous découvrons ensuite la régie, ultramoderne, avec les meilleurs équipements. C’est le véritable cœur du studio. Puis un autre espace, en pleine rénovation, promesse de futurs enregistrements et de nouvelles créations. En quittant le château d’Hérouville, je me surprends à imaginer les voix, les rires et les musiques qui ont résonné entre ces murs. Un lieu hors du temps, où passé et avenir continuent de dialoguer. Et où, l’espace d’un instant, j’ai eu la chance de m’inviter. Une chose est sûre : je n’écouterai plus jamais les Bee Gees chanter “Stayin’ Alive” de la même façon.
Merci à Justine Blain et Marie-Valérie Vavasseur de Val-d’Oise Tourisme et à l’AJT de m’avoir permis de vivre ce beau moment. Un moment de découverte à la fois nostalgique et tourné vers le futur.
Anecdotes
Des notes de musique aux pas feutrés dans les escaliers, des rires partagés dans le parc aux élans de générosité des villageois… Le château d’Hérouville n’a jamais cessé de vibrer. Quelques anecdotes suffisent à en mesurer toute l’âme.
Un concert improvisé… et une nuit complètement folle
En juin 1971, le groupe Grateful Dead devait se produire au festival d’Auvers-sur-Oise. La météo en a décidé autrement. Qu’à cela ne tienne ! Michel Magne ouvre les grilles du château d’Hérouville et invite le groupe à donner un concert privé dans le parc. Environ 200 personnes – dont de nombreux habitants du village – assistent à cette soirée unique. L’ambiance est joyeuse, festive… et un brin débridée. Car à force de boire sans méfiance, certains convives ingèrent involontairement des substances planantes glissées dans les boissons. Résultat : la nuit se termine avec des plongeons improvisés dans la piscine et l’arrivée des pompiers pour calmer les esprits… Et sortir tout ce petit monde de l’eau.
La piscine du château, autrefois fréquentée par les artistes… Aujourd’hui, ce sont les canards qui y font leurs longueurs.
Le piano d’Elton John sauvé d’un drôle de destin
Le célèbre piano Steinway B du château d’Hérouville a bien failli partir… pour être réduit en poudre ! Un acheteur américain voulait l’acquérir uniquement pour en faire des flacons souvenirs. Le piano d’Elton John sur lequel il a enregistré “Candle in the Wind”. Finalement, face aux complications du transport, le propriétaire a préféré le proposer directement à l’équipe du château. Ils l’ont acheté « par simplicité » et ont vite découvert qu’ils venaient de sauver un piano exceptionnel, daté de 1901. Un instrument unique, sur lequel ont été composés et enregistrés des morceaux mythiques.
Un escalier… devenu studio d’enregistrement pour les Bee Gees
Pour rejoindre le studio, les artistes empruntent un superbe escalier en pierre. Lors de leur venue au château, les Bee Gees, venus enregistrer “Saturday Night Fever”, s’amusaient à y faire des vocalises. La résonance exceptionnelle du lieu les a séduits. Un jour, ils ont même tenté des chœurs dans l’escalier. Conquis par l’acoustique, ils ont demandé si l’on pouvait enregistrer ainsi. Banco ! Une partie des chœurs de leur album a été captée directement dans cet escalier devenu, l’espace d’un instant, un studio d’enregistrement à part entière.
Dans cet escalier, les Bee Gees ont fait résonner leurs voix… avant d’y enregistrer des chœurs légendaires
Quarante volontaires mobilisés pour redonner vie au parc du château
En juillet 2015, alors que le Château venait d’être acheté, le parc de 17 000 m² a retrouvé vie. Cela grâce à un formidable élan de solidarité. Une quarantaine d’habitants du village, de tous âges, se sont portés volontaires pour débroussailler les ronces et dégager les vestiges oubliés. Armés de pelles, tronçonneuses et sécateurs, ils ont redonné forme aux lieux, dans un même élan généreux. Les nouveaux propriétaires, émus, ont vu dans ce geste collectif une preuve d’attachement profond au château et à son histoire. Une renaissance partagée, portée par tout un village.
Des graviers du château jusqu’à l’histoire du Portugal
La chanson “Grândola, Vila Morena”, du chanteur José Afonso, est devenue l’hymne de la Révolution des Œillets au Portugal. Elle a été enregistrée au château d’Hérouville et fut choisie par le Mouvement des Forces armées pour lancer la rébellion militaire, le 25 avril 1974. Ce chant de liberté, rythmé par le bruit des pas sur les graviers du château, est aujourd’hui un symbole national et un patrimoine vivant pour la société portugaise. Plus récemment, un représentant de l’Élysée s’est rendu au château pour ramasser quelques-uns de ces fameux gravillons. Lors de sa visite d’État au Portugal, Emmanuel Macron les a offerts au président portugais dans un écrin symbolique chargé d’histoire.
Ces gravillons du château ont rythmé “Grândola, Vila Morena”… avant de devenir un cadeau historique entre la France et le Portugal.
Le château d’Hérouville décroche le jackpot du Loto du patrimoine
En 2024, le château d’Hérouville reçoit un signe du destin. Sélectionné par le Loto du patrimoine, il obtient une aide exceptionnelle de 300 000 euros pour restaurer son aile nord. La seule distinction accordée dans tout le Val-d’Oise. La plus grande subvention parmi les cent projets retenus cette année-là. Au total, la Mission Patrimoine distribue 18,6 millions d’euros, avec des montants allant de 50 000 à 300 000 euros. Pour les propriétaires, c’est bien plus qu’un chèque. Ce soutien change tout. C’est l’assurance de pouvoir poursuivre les travaux, l’espoir de préserver ce lieu unique, et le sentiment, enfin, de ne pas être seuls dans ce combat pour faire revivre les murs chargés d’histoire. C’est la promesse que cette belle aventure pourra continuer.
Grâce au Loto du patrimoine, remis par la Fondation du patrimoine, l’aile Nord du château va pouvoir être rénovée
Info +
Le château d’Hérouville n’est pas ouvert au public et on ne peut pas le visiter, à l’exception d’évènements culturels ou artistiques ponctuels :
4-6 rue Georges Duhamel
95300 Hérouville-en-Vexin
https://www.lechateaudherouville.com
Photos Caroline Paux
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