Dans l’histoire des ducs de Bourbon, on connaît bien le connétable Charles III proche cousin du roi de France. Charles était de surcroît grand amateur d’art et de livres enluminés. Par goût réel ou pour se faire valoir ? peu importe puisqu’il est assez riche pour se les offrir, peut-être pas comme Crésus, mais bien plus que son cousin le roi François 1er.
Lequel en conçoit une grande jalousie et, le duc n’ayant pas d’héritier direct, aimerait s’approprier le duché et les collections. D’où force de tracasseries, et même procès ! Poussé à bout le Connétable finit par offrir ses services à Charles Quint, l’ennemi juré du roi François ! Mal lui en prend puisqu’il est tué en 1527 lors du siège de Rome ! Mais excellente occasion pour le Roi de mettre la main sur les biens de son cousin félon. Son duché de Bourbon, son château de Moulins et les richesses qu’il renferme. Dont plusieurs centaines de manuscrits enluminés.
Les manuscrits du Connétable de Bourbon
En cette seconde moitié du XVe siècle, l’imprimerie vient d’être inventée mais le manuscrit enluminé ne perd rien de son prestige. Bien au contraire il devient un objet exceptionnel. Pour les Ducs de Bourbon, posséder de très beaux livres, est à la fois un signe de richesse, de pouvoir et de culture. Charles de Bourbon en réunit environ 600 dans la « librairie » de son château de Moulin, au cœur du Bourbonnais. Dont la cinquantaine que présente l’actuelle exposition du Musée Condé à Chantilly. Après sa mort sans héritier, en 1527, les manuscrits du Connétable passent dans les collections royales. A ce jour, ils sont toujours propriété de l’État. Sauf ceux restés à Moulins qui subissent le cours mouvementé de l’Histoire : saisie, déménagements, révolutions, exils… Jusqu’en 1830 lorsque le duc d’Aumale, fils du Roi Louis-Philippe hérite des volumes en question.
Les Ducs de Bourbon et le Duc d’Aumale
Les manuscrits ne sont pas au bout de leur itinérance. La révolution de 1848 force à l’exil l’ex « Roi citoyen » et sa famille. Le jeune duc d’Aumale et ses bouquins prennent donc le chemin de l’Angleterre, dont ils reviennent en 1870 à la chute de Napoléon III ! Le prince installe alors ses livres et ses collections au château de Chantilly dont il a aussi hérité. Il le fait reconstruire sur les ruines de l’ancien, rasé en 1799. Aussi riche que le Connétable, le duc d’Aumale a effectué d’autres acquisitions au cours de son exil, dont Les Très Riches Heures du Duc de Berry. Ainsi que le Livre d’Heures de Jeanne de France classé « trésor national ». Cette Jeanne est la fille du roi de France Charles VII et l’épouse du duc Jean II de Bourbon. Il ne faut pas la confondre avec la fille handicapée de louis XI, dite Jeanne la Boiteuse, canonisée plus tard sous le nom de Sainte Jeanne de France.
Les Ducs et les Duchesses
Les ducs de Bourbon ont à leur côté, les Duchesses. Dans l’univers de la culture, on rencontre souvent les femmes, plus que les hommes occupés à la guerre et à revendiquer leurs droits. Ce sont souvent elles les commanditaires de ces ouvrages, et qui savent le mieux les apprécier. Beaucoup de ces princesses de la pré-Renaissance sont d’ailleurs issues de dynasties de bibliophiles. C’est la cas de Marie de Berry 1375-1434 l’épouse du duc Jean 1er. Elle est aussi la fille et l’héritière du fameux Duc de Berry, commanditaire des Très Riches Heures. Après la capture de son époux par les Anglais à Azincourt en 1415, Marie reste seule aux commandes du duché, libre de ses décisions. Elle hérite aussi, en guise de dot d’une large part de la bibliothèque de son père qui s’additionne après sa mort de celle de la cour de Bourgogne.
En pleine Guerre de Cent Ans
Le fils de Jean et Marie, devenu le Duc Charles 1er, est un éminent bibliophile. Comme son épouse Agnès, propriétaire d’un joli Livre d’heures et d’un roman de chevalerie, Le Paradis de la reine Sibylle. Ouvrage orné de dix-huit grandes miniatures et de nombreuses initiales enluminées. Agnès est la sœur du duc de Bourgogne Philippe le Bon, dont l’activité guerrière ne l’empêchent pas d’être aussi mécène et bibliophile. Nous sommes alors en pleine guerre de Cent ans. Le fils de Charles et d’Agnès, devenu à son tour le duc de Bourbon de Jean II, se bat contre les Anglais aux côtés de Jeanne d’Arc et de Dunois. Il épouse une autre Jeanne, fille du roi Charles VII qu’il a contribué à faire sacrer en 1429. Par le jeu des alliances, les Ducs de Bourbon restent proches du trône de France sur lequel Henri IV finira par s’asseoir en 1594.
Jeanne de France duchesse et fille de roi
La duchesse Jeanne, femme de culture, est une cliente assidue des scribes et des enlumineurs auxquels elle passe de nombreuses commandes. D’ouvrages religieux bien sûr, mais aussi des récits historiques. Son Livre d’heures à usage de Paris, illustré d’une trentaine de miniatures pleine page a même été récemment classé « trésor national ». Mais son Livre des faiz monseigneur Saint Loys, destiné au cardinal de Bourbon est peut-être la plus emblématique de ses commandes. Louis IX, canonisé en 1294, restera jusqu’à Louis XVI la valeur de référence des rois de France. Jean II et Jeanne étant restés sans enfants, c’est Pierre, le frère de Jean qui hérite du duché sous le nom de Pierre II, sire de Beaujeu. Lui aussi épouse une princesse de sang royal, Anne de France, passée dans l’Histoire sous le nom d’Anne de Beaujeu.
D’Anne de Beaujeu à Anne de Bretagne
Celle que son père le roi Louis XI considérait comme « la femme le moins folle de France » est aussi une fine politique et une régente avisée. Avec son époux Pierre de Beaujeu elle tient les rênes du pouvoir durant la minorité de son jeune frère Charles VIII. C’est elle qui négocie le mariage du jeune roi avec la duchesse Anne de Bretagne. Un coup de maître qui annexe par la même occasion le duché armoricain au royaume de France, la valeur d’environ cinq départements ! Grands amoureux des livres eux aussi Pierre et Anne font de leur cour de Moulins un très brillant foyer culturel et artistique Pour leur succéder, ils n’ont qu’une fille, Suzanne, mariée à son cousin le fameux Connétable. Trois enfants dont deux jumeaux naissent ce cette union, tous morts au berceau, chose courante à l’époque. À moins que… ? Voir légende ou secret d’État.
D- Louise de Savoie, une femme à poigne
À la mort d’Anne en 1522, le duché passe à sa cousine Louise de Savoie, héritière du Connétable et de ses manuscrits. Veuve à 19 ans Louise élève seule ses deux enfants, Marguerite et François. Ce dernier surtout, son « son César » disait-elle, héritier virtuel du trône de France, Louis XII n’ayant pas d’enfant. Plus que le mécénat, c’est la politique qui l’occupe. Elle devient même la régente du royaume quand François 1er est fait prisonnier à Pavie en 1525. Ce début du XVIe s sonne le glas du manuscrit enluminé et le triomphe de l’imprimerie, désormais véhicule de tous les savoirs. L’illettrisme commence à reculer lentement et inégalement, selon les régions. En fonction du curé de la paroisse qui se transforme parfois en instituteur. Avant les lois de Jules Ferry qui, en 1880, ouvrent à tous les enfants l’accès à la culture. Autre époque, autre histoire !
Légende ou secret d’État ?
Il existe une légende, ou un secret de famille, celle des Bourbon-Bhopal. Suzanne et le Connétable auraient eu un autre fils, que sa nourrice aurait emporté au loin pour le soustraire à la perfidie de Louise de Savoie. Elle aurait embarqué avec l’enfant à bord d’un bateau, capturé ensuite par des pirates qui les auraient vendus comme esclaves ! Après moult péripéties, l’enfant devint plus tard le conseiller du Grand Moghol…. On se croirait chez Molière ! Le prince Michel de Grèce, authentique Bourbon lui-même, a écrit un joli roman sur ce Bourbon-Bhopal. Dont l’actuel descendant serait aujourd’hui le légitime héritier du trône de France – et des manuscrits de Chantilly. Reléguant au rang de vils usurpateurs François 1er et tous successeurs.
Informations pratiques
Les Manuscrits des Ducs de Bourbon
Musée Condé
60500 Château de Chantilly
Jusqu’au 7 janvier 2024,
Ouvert chaque jour sauf mardi, 10h-17h
Entrée:: 17 € – TR : 13,50 €
Billet famille (2 adultes et 2 ou 3 enfants) : 48€
Renseignements et réservations
Tel : 03 44 27 31 80
https://billetterie.chateaudechantilly.fr/fr-
Photo d’ouverture : Diptyque de Jeanne de France, Atelier de Roger van der Weyden, Hsb Flandre, milieu du XVe s Chantilly, Bibliothèque du musée Condé, – Franck Raux © IRHT-CNRS
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