Depuis 1955, la ville de Montrouge, située aux portes de Paris, est devenue un tremplin de la scène artistique contemporaine émergente. Chaque année, au printemps, le Salon de Montrouge met en avant de jeunes artistes émergeant et des nouveaux talents de l’art contemporain. Plus de 2000 candidatures sont arrivées cette année dans le bureau du Comité de sélection qui a présélectionné 267 dossiers. Finalement, seulement 52 candidats ont été retenus pour l’exposition. Ils viennent d’horizons et de pays différents avec une majorité d’artistes féminines (60 %).
Du 27 avril au 22 mai, leurs œuvres sont à découvrir au Beffroi de Montrouge. Une visite (gratuite) s’impose si l’on veut essayer d’entrer dans cet art et découvrir s’il est vraiment si inaccessible qu’on le pense. On peut être surpris ! Le visiteur peut déambuler comme il le souhaite, choisissant son parcours au gré de l’exploration et de ses préférences artistiques. Il aura le choix entre peintres, dessins, sculptures, vidéos, performances, photographies, installations… Chaque œuvre est titrée avec quelques lignes sur l’artiste et une présentation. De quoi nous éclairer, souvent.
Un art qui interpelle
L’art contemporain a cela de particulier : il interpelle. Le sens large du terme le défini comme la représentation des œuvres artistiques créées depuis 1945. Ses frontières sont cependant plus étroites car elles s’arrêtent plutôt à un art conceptuel, souvent obscur, déroutant, provocant, aux yeux du public. On accroche, ou on n’accroche pas… Il y a une trentaine d’années, un confrère journaliste de la presse quotidienne avait titré son article relatant une exposition : « L’art comptant pour rien ». Visiblement, il n’avait pas été sensible aux intentions des artistes.
Au fil de ma visite, je me suis arrêtée devant les œuvres qui m’intriguaient ou qui me séduisaient. A posteriori, je me suis aperçue que très peu d’œuvres primées par le jury m’avaient interpellée. Comme quoi, l’art contemporain, va bien au-delà des sensibilités.
Une scénographie en quatre chapitres
La scénographie du Salon est signée Vincent Le Bourdon. Il a imaginé une suite d’espaces accueillant chaque projet et repartis selon quatre territoires.
Ce que nous sommes ensemble et ce que ne sont pas les autres.
Les artistes s’intéressent à des questions sociales et sociétales.
Le laboratoire des contre-pouvoirs.
Les artistes sont des expérimentateurs. Ils testent, accommodent, fabriquent par assemblage et poussent loin les limites du faisable. Leur atelier est un laboratoire où tout devient sujet à expérience.
La forme contenue ou le contenu impliqué.
L’un des buts recherchés de la création est la conception de nouvelles formes. De tout temps les artistes adoptent des techniques actuelles afin d’enrichir le vocabulaire existant. Ils sont des chercheurs dans leur propre champ.
La réalité attrapée par le réel.
Les artistes s’intéressent au réel. Certains puisent dans le répertoire du quotidien, qu’ils fantasment, transforment, détournent…
Au fil du parcours
Vous verrez, à Montrouge, la visite peut être longue, car intéressante. Et Chaque œuvre mérite un arrêt.
Aïda Bruyère
Elle est la lauréate du Grand Prix 2019. En arrivant dans la salle d’exposition, vous tomberez sur sa présentation tout de suite. De grandes photos noir et blanc et une vidéo. Son projet “Spécial Gyal” est axé sur la danse Bootyshake qui la fascine, tant pour les attitudes sexy que pour l’apparence vestimentaire qu’elle supporte. Elle a photographié et filmé cette danse de rue et ses battles, comme un inventaire des mouvements et des postures.
Arthur Hoffner
Ce parisien est la révélation de l’ADAGP. Ses “Monologue 01”, “Monologue 02” et “Conversation” sont étonnantes et magnifiques. Ces trois sculptures « vivantes » sont constituées de matériaux industriels liés à l’écoulement et à la filtration de l’eau. Ce sont des fontaines de table en circuit fermé, qui invitent à la contemplation hypnotique du cycle de l’eau.
Nefeli Papadimouli
J’ai beaucoup aimé “Imaginons des pas de danse sur cette nouvelle scène du réel, 2019” de Nefeli Papadimouli (Athènes). Cette artiste vient de recevoir le Prix du jury dans le cadre du Prix Dauphine pour l’art contemporain. Son installation joue sur la forme des sculptures portables et en couleur, sur l’espace, la danse… et le spectateur. Des danseurs ou des visiteurs peuvent prendre une ses sculptures et rejouer les postures physiques que les contours de ces sculptures incarnent. Une façon de révéler de nouveaux équilibres entre deux corps.
Camille Sauer
N’hésitez pas à discuter avec cette artiste installée à Paris. Elle vous présentera son projet “I like Society and Society Likes Me”. À travers la pratique du jeu d’échecs, elle déconstruit les règles sociétales et interroge le statut de chaque pion. Pourquoi l’artiste ne serait pas présent sur l’échiquier ? Un nouveau pion placé au cœur de l’échiquier. Et pour quelle raison la Reine devrait-elle toujours obéir au Roi ?
Yamen Shih
Vous serez surpris par cette douche, entièrement réalisée en savon. “38°”. Il s’agit de la création d’une jeune Taïwanaise qui vit et travaille à Paris, Yamen Shih. Prenez le temps de lire son carnet de notes, mouillé, épinglé au mur ou les inscriptions sur la serviette. Et regardez la photo de sa grand-mère, à Taïwan. Un hommage émouvant.
Charly Aubry
Juste en face, vous sursauterez en entendant un gros boum, régulier. C’est “Going Wrong”. Une table en désordre, un étendoir à linge portant des caleçons, chaussettes, polos qui sèchent, une fuite d’eau… et un désordre qui vous rappelle les années étudiantes. L’auteur est Charly Aubry (La Courneuve), jeune diplômé des beaux-arts de Toulouse. Son décor est une représentation de la misère et de la pauvreté. Une façon de souligner l’indifférence.
Rosanna Lefeuvre
Vous ne resterez pas insensible aux impressions à chaud de Rosanna Lefeuvre (Pantin). Mêlant photographies, esthétique picturale et tissage, elle explore la représentation de la femme dans l’art, dont la sensualité du corps est révélée subtilement par le textile.
Ellande Jaureguiberry
“Fontaine pour AB Pictoris”. Drôle de nom pour une rencontre… C’est l’œuvre d’Ellande Jaureguiberry (Asnières). Passionné de science-fiction, elle a réalisé une fontaine aux formes mouvantes qui est destinée à AB Pictoris, étoile de la constellation du peintre. Elle alterne les couleurs qui évoquent le sang, le lait, l’eau et le vin.
Madeleine Roger-Lacan
Étonné, vous regarderez curieusement “Le festin des bouches cannibales”. C’est une installation de peintures sur toiles réalisées par Madeleine Roger-Lacan (Paris). Elle propose une série de peintures à l’huile qu’elle découpe, repositionne, superpose en s’interrogeant sur le rapport au désir et aux corps sexués des hommes et des femmes. À décrypter !
Traian Chereches
Mon petit coup de cœur. Vous stopperez certainement devant les trois œuvres de Traian Chereches (Paris). Cet artiste d’origine Roumaine est un passionné de jeux vidéo et de science-fiction. Il conçoit des objets hybrides, tridimensionnels, à la frontière de la peinture et de la sculpture. Composés de mousse polyuréthane expansive ils sont ensuite recouverts de différentes couches de peinture. Beau, vivant, charnel… « C’est comme un volcan, m’explique-t-il. La force vient du plus profond et explose… J’essaye d’exprimer la violence et l’anxiété de notre temps. J’ouvre les portes des ténèbres à la lumière, pour faire prendre conscience des forces invisibles de la destruction. »
Alexandra Riss
Elle a reçu le Prix Kristal, décerné par le conseil municipal des enfants de Montrouge. Ils ont aimé son armoire familiale “Hippocampe” qui présente des monticules de poussière, comme des terrils parfaitement agencés. Chaque petit monticule a une caractéristique de matière et de couleur. Les enfants ont adoré les objets qu’elle a imaginés dont ces chaussons de danse équipés de pointes en verre ou ces chaussures de rugby à crampons de céramique…
Des Prix prestigieux
En participant au Salon de Montrouge, les artistes sont également candidats aux différents Prix. Il y en a dix et pas des moindres car, pour les lauréats, c’est un formidable tremplin artistique. Le Jury 2019, présidé par Laurence Gateau, directrice du Frac Pays de La Loire, a dévoilé les noms des lauréats lors du vernissage de l’exposition.
Le Grand Prix du Salon-Palais de Tokyo
C’est Aïda Bruyère qui l’a remporté. Elle pourra présenter un projet personnel au Palais de Tokyo en 2020.
Le prix des Beaux-Arts de Paris
Il a été décerné à Oussama Tabti. Il bénéficiera d’une aide à la production de l’École Nationale Supérieure des Beaux-arts de Paris (ENSBA).
Le Prix du Conseil Départemental des Hauts-de-Seine
Ce prix revient à Zoreh Zavareh. Elle reçoit le soutien du Conseil départemental des Hauts-de-Seine pour la réalisation d’un projet inédit dans un Centre d’Art du 92.
Et les autres…
Révélation arts plastiques ADAGP
Arthur Hoffner bénéficie de ce statut. Il va faire l’objet d’une dotation financière, d’un portrait filmé et diffusé sur le site d’Arte ainsi qu’une présentation de son travail sur les cimaises de l’ADAGP.
Prix Kristal
Il récompense Alexandre Riss.
Résidence à Moly-Sabata
C’est François Dufeil en partenariat avec Marine Wallon qui l’ont gagné. Ils seront accueillis en résidence et recevront une dotation.
Le Prix première édition Tribew
Il a été décerné à Ioanna Neophytou
Ateliers Médicis
Ils ont choisi Camille Juthier
Production Orange Rouge
Elle a élu Pauline Lecerf
Le Parc Saint-Léger
Il a opté pour Flora Bouteille, François Dufeil, Pauline Lecerf, Maxime Testu. Ils seront accueillis en résidence pour un accompagnement et un soutien à la création.
Chiffres
Plus de 35 artistes passés par le Salon de Montrouge sont aujourd’hui des artistes de renommée internationale.
Deux mille candidatures ont été reçues cette année, 267 dossiers ont été présélectionnés, 52 artistes ont été retenus.
Vingt quatre ans est l’âge du plus jeune artiste.
25 000 visiteurs sont venus en 2018
Douze nationalités sont représentées : Algérie, Brésil, Chine, Chypre, Colombie, États-Unis, Grèce, Iran, Roumanie, Sénégal, Taïwan et France.
Infos pratiques
Lieux : Le Salon de Montrouge, au Beffroi, avenue de la République, 92120 Montrouge
Dates et horaires : du 27 avril au 22 mai 2019, de 12 h à 19 h.
Entrée : gratuit
http://www.salondemontrouge.com/
Copyright : Caroline Paux
Les commentaires ne sont pas disponibles!