Pendant des années, lorsque je passais rue de Rivoli, à Paris, devant la Tour Saint-Jacques, je me disais que ce monument était un peu spécial. Planté au milieu d’un square, elle ressemble à un clocher, mais n’a pas de cloche, et aucune église ne la supporte. Cette Tour du Moyen Âge est accessible au public depuis 2013, mais pendant 150 ans elle n’avait pas ouvert ses portes. Il fallait absolument que je parte à sa découverte…
Lorsque j’ai reçu une invitation de la Mairie de Paris pour la visiter en avant-première, avant son ouverture estivale, je n’ai pas hésité. Enthousiaste, l’avertissement ne m’a pas fait reculer. « L’accès au sommet (54 mètres, soit environ 16 étages) s’effectue par un petit escalier de 300 marches. Il est déconseillé aux claustrophobes, sujets au vertige, aux personnes ayant des difficultés à marcher ou ayant des problèmes cardiaques… ».
Visite guidée avec Des mots et des arts
La visite guidée est conduite par Nicolas, historien d’art, de l’agence Des mots et des arts qui organise et mène les visites. « Nous sommes 7 à 8 guides à nous relayer pour faire découvrir aux visiteurs la perception historique de ce bâtiment ». Un bâtiment dont l’histoire est singulière. Avant de grimper les 300 marches pour atteindre le sommet de la Tour, notre guide nous donne quelques explications. Et nos regards se posent sur la statue de Blaise Pascal posée sous des ogives, au centre du bâtiment. Grand savant du XVIIe siècle, mathématicien et physicien, celui-ci aurait réalisé une expérience sur la pesanteur à la Tour Saint-Jacques, le 8 octobre 1648. Et c’est pour célébrer le souvenir de cette expérience qu’un des restaurateurs de la Tour, Théodore Ballu, a fait poser cette statue au XIXe siècle.
L’église Saint-Jacques de la Boucherie
Nous commençons l’ascension… L’escalier est vraiment étroit (85 cm) ! Je compte les marches et vers la cinquantième, premier arrêt. Nous entrons dans la salle lapidaire, une pièce décorée d’images de la Tour. Des bouts de sculptures sont posés à terre contre le mur. Notre guide profite de cet arrêt pour nous raconter l’histoire du monument.
La Tour Saint-Jacques est le vestige d’une église qui a aujourd’hui disparu. Son implantation date du XIe siècle. Au départ c’était une chapelle, financée par des commerçants dont la puissante Corporation de la Grande-Boucherie. Baptisée église Saint-Jacques-de-la-Boucherie, elle est agrandie au cours des XIVe et XVe siècles, grâce aux dons des corporations et de particuliers. Parmi ceux-ci Nicolas Flamel, un riche bourgeois, écrivain érudit et généreux. Il fait construire un portail au Nord de l’église sur lequel il est représenté, avec sa femme, à genoux devant la Vierge.
La Tour est sauvée
En 1501, la Confrérie des Bouchers décide de remplacer l’ancien clocher de l’église datant du XIIIe siècle. Les travaux durent 14 ans… De style gothique flamboyant, la nouvelle Tour possède alors 12 cloches et de nombreuses gargouilles. Son carillon était le plus apprécié de la ville. Avec la Révolution, en 1797, l’église devenue Bien national, est vouée à la destruction. Elle est malheureusement vendue comme carrière et démolie pierre par pierre. L’acte de vente avait cependant interdit que le clocher soit démoli ! C’est ainsi que la Tour fut sauvée et conservée. Pendant une certaine période, elle est occupée par un fabricant de plombs de chasse. Pour lui, la hauteur du bâtiment est idéale. Il lâche les plombs d’en haut des 54 mètres et la chute permet de les refroidir et de les transformer en billes à l’arrivée ! Cela provoque évidemment des incendies qui dégradent le bâtiment.
La Tour se transforme au XIXe siècle
La vieille Tour arrive péniblement au XIXe siècle. Elle est dans un très mauvais état et en 1836, la Ville de Paris la rachète. Napoléon III engage des travaux quelques années plus tard. Il faut que la Tour soit restaurée et embellie ! C’est l’architecte Théodore Ballu, grand prix de Rome, qui s’en charge. C’est une des transformations majeures. Souhaitant végétaliser le lieu, comme à Londres, il crée un square tout autour, le premier de la capitale haussmannienne. Quatre grandes ouvertures sont prévues à la base du bâtiment, les sculptures et ornementations endommagées sont remplacées, 28 sont ajoutées. D’autres gargouilles font leur apparition… et la Tour devient la “Tour Saint-Jacques”.
Une station météorologique
Notre guide, Nicolas, nous invite à poursuivre l’ascension. Environ 100 marches, sans arrêt. Nous arrivons dans une nouvelle pièce très lumineuse.
En 1862, l’ancien clocher est devenu une superbe Tour ornementale, classée aux Monuments Historiques. En levant la tête nous apercevons des vitraux colorés signés des initiales du donateur Nicolas Flamel et de l’architecte Théodore Ballu. Nous sommes dans la pièce qui a accueilli en 1891, une station météorologique ! Elle y demeurera tout au long du XXe siècle ! Il reste quelques meubles poussiéreux, une vieille carte planisphère du monde, des bouteilles mystérieuses…
14 ans de travaux au XXIe siècle
En 2001, la Ville de Paris et la conservation des Monuments historiques entreprennent une nouvelle restauration qui coûtera 8,3 millions d’euros. Les façades sont fragilisées par la pollution et les intempéries, certaines pierres menacent de tomber. Il faut également corriger les erreurs des dernières restaurations, dont l’utilisation de ciment armé. L’enjeu est de préserver les éléments d’architecture des XVIe et XVIIIe siècle et de remplacer le ciment armé par de la pierre. Les travaux sont conduits par Jean-François Lagneau, architecte en chef des Monuments historiques. Une trentaine d’artisans-compagnons, sculpteurs, tailleurs de pierre, menuisiers, couvreurs, maîtres verriers, restaurateurs, travaillent sur le projet pendant 14 ans.
Un point de vue sur Paris exceptionnel
Il nous reste à monter les 150 dernières marches, sans autre arrêt. La rambarde est bien utile ! « Si vous pensez devoir vous arrêter pour souffler, mettez-vous en queue de file pour éviter de bloquer l’ascension des autres personnes », nous conseille Nicolas. Dans cet escalier, on ne peut pas doubler… Nous avons hâte d’arriver au sommet car une belle récompense nous y attend. Une vue exceptionnelle à 360° sur la ville de Paris. Époustouflante. La terrasse carrée n’est pas très grande et au centre, une espace rond en zinc permet aux plus fatigués de s’asseoir et de souffler un peu. Les garde-corps d’un mètre environ permettent une observation de la ville sans filet. Idéal pour les photos !
Au Sud Notre Dame, à l’Ouest la Tour Eiffel
Je me dirige d’abord vers le côté sud pour découvrir Notre Dame de Paris. Nous voyons parfaitement la cathédrale blessée et les mesures de protection du toit qui ont été installées. Juste devant, l’Hôtel-Dieu, qui aurait bien besoin d’un ravalement de façade, et la splendide Conciergerie. Ce palais médiéval, ancienne résidence des rois de France est devenu un tribunal révolutionnaire puis une prison qui accueilli Marie Antoinette.
Je me tourne ensuite vers l’ouest où la perspective est fabuleuse. On distingue bien au loin, la Tour Eiffel, l’Obélisque, l’Arc de Triomphe et le quartier de La Défense. J’admire les merveilleux toits en zinc, emblématiques de la Ville de Paris. Ils font l’objet d’un projet d’inscription au Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2014.
Au Nord, le Sacré-Cœur, à l’Est l’Hôtel de Ville
Petit tour à droite, vers le nord, avec un large panorama sur le Sacré-Cœur et une vue plongeante sur le Centre Pompidou. On distingue très bien ses immenses tuyaux de couleurs qui ont causé tant de polémique en 1977 lors de l’inauguration du musée.
Vers l’est, nous apercevons l’Hôtel de Ville, à proximité, qui, depuis 1357, accueille les institutions municipales de la ville. À côté le BHV Marais (ou Bazar de l’Hôtel de Ville), créé en 1856 par le commerçant Xavier Ruel.
Amoureux du patrimoine
Notre groupe serait bien resté encore un peu de temps au sommet de la Tour, mais la pluie commence à tomber. Une dernière photo et nous entamons la descente. Plus facile que la montée. Il ne faut pas perdre le rythme. Mais rien ne presse. Nous avons le temps d’observer des inscriptions sur les murs. Certaines ne datent pas d’aujourd’hui.
Amoureux de Paris, je vous conseille fortement cette découverte, pour l’histoire, pour la vue. Chaque année de nombreux visiteurs tentent l’ascension. Ils sont en majorité des Parisiens amoureux du patrimoine et de leur ville, mais beaucoup aussi sont des touristes français ou étrangers.
Pour en savoir plus
La tour Saint-Jacques, est le point de départ parisien du pèlerinage de Saint Jacques de Compostelle.
Les symboles sculptés de quatre évangélistes apparaissent dans les angles sur la terrasse de la Tour : le lion (Marc), le taureau (Luc), l’aigle (Jean) et l’ange (Matthieu).
Une maquette tactile a été installée dans la galerie du 3e étage de la mairie du 4e arrondissement. Elle reproduit avec de nombreux détails, la Tour et ses statues, ainsi que des éléments de décor. Les légendes (également en braille), permettent une approche historique des techniques des grands bâtisseurs.
Informations pratiques
Les visites guidées de la Tour Saint-Jacques sont conduites Des Mots et des Arts. Tous les vendredis, samedis et dimanches, de 10 heures à 17 heures. Départ toutes les heures.
Du 1er juin au 3 novembre 2019. Les visites sont limitées à 17 personnes.
Durée : 50 minutes
Tarif : 10 €
Réservations obligatoires sur le site www.desmotsetdesarts.com
Adresse : Square de la Tour Saint-Jacques, 75004 Paris
© Photos Caroline Paux
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