Un bicentenaire peut en cacher un autre ! Au printemps 1821, pendant que Napoléon agonise à Sainte Hélène dans l’indifférence générale, le peuple grec commence à secouer le joug ottoman qui l’oppresse depuis quatre siècles. Le Louvre célèbre cet événement par une exposition magistrale qui met en vis à vis la Grèce antique et Grèce moderne, le pays rêvé et le pays réel.
Visite guidée avec Françoise Deflassieux qui est allée voir cette magnifique exposition pour vous la présenter.
Retrouver la Grèce…
L’Europe romantique s’enflamme pour cette nouvelle révolution. Peintres et poètes se solidarisent en vers ou en images (moins risqué…) On connaît les vers de Hugo : « Ami, dit l’enfant grec…. /Je veux de la poudre et des balles ». Au début, ça marche, les insurgés connaissent une série de succès qui les mène à déclarer leur indépendance dès janvier 1822. Sous les applaudissements des milieux culturels européens. Après les découvertes de Pompéi, les monuments et les hiéroglyphes d’Égypte, va-t-on retrouver la Grèce mythique des héros d’Homère ? celle des dieux de l’Olympe et des disciples de Socrate ? En ce printemps 1821 la France a déjà accueilli une ambassadrice de charme : une déesse en marbre blanc qu’un paysan des Cyclades venait de déterrer d’un coup de pioche. La « Vénus de Milo », acquise au terme d’une négociation un peu compliquée, devient la star des Antiquités grecques du Louvre.
Mourir pour la Grèce…
Quant à l’indépendance du pays, plus facile à dire qu’à faire. La Déclaration de 1822 est suivie d’une répression féroce. Missolonghi, à l’entrée du golfe de Corinthe, prise et reprise trois fois en six ans, devient un champ de ruines. Lord Byron y trouve la mort en 1824 et la ville martyre devient sous le pinceau de Delacroix, un symbole de cette barbarie. L’artiste avait déjà fait sensation au Salon de 1824 avec « Les Massacres de Chios ». Plus concrètement, Charles X monte en 1828 une expédition militaire en Morée (Péloponnèse) accompagnée d’une mission scientifique. L’indépendance ne sera finalement acquise qu’en 1832. Sous une forme plutôt paradoxale. La Grèce, berceau de la démocratie, se voit doter par ses « libérateurs » d’un roi bavarois ignorant de sa langue et de sa religion. Elle s’accommodera néanmoins plus ou moins mal pendant près d’un siècle et demi de cette monarchie parachutée.
Voyager en Grèce avant ….
Avant cette date voyager en Grèce était plus compliqué. Depuis son rattachement à l’Empire Byzantin, puis l’occupation ottomane au XVe siècle, le pays s’est peu à peu détaché de l’Occident. On continue à lire Homère et Platon, à célébrer les exploits d’Alexandre, mais peu sont allés voir de près les vestiges antiques. A part les missions diplomatiques que la monarchie entretient avec La Porte. Comme l’ambassade du marquis de Nointel en 1674 dont témoigne une grande toile attribuée à J. Carrey relatant son passage à Athènes. Le marquis et son escorte posent devant l’Acropole et le Parthénon affublé d’un minaret mais encore intact. Nous sommes douze ans avant l’explosion qui l’éventrera en 1687. L’artiste profite de son séjour pour aller voir de près les frontons du Parthénon dont les débris sont aujourd’hui à Londres. Les dessins détaillés qu’il en fait constituent de précieux témoignages.
Retrouvailles et malentendus
Quelques années avant l’insurrection, commencent les premiers voyages, pas encore touristiques mais « non-diplomatiques ». Châteaubriand sur son Itinéraire de Paris à Jérusalem, de 1806 à 1807 parcourt d’un regard nostalgique les ruines non dégagées. Les archéologues ne sont pas encore arrivés. Les paysages des Grecs ne sont pas les vestiges de l’antiquité, mais les églises byzantines où on célèbre le christianisme orthodoxe. Leurs œuvres d’art ne sont pas les Vénus et les Apollon de marbre, mais les icônes à fond or, œuvres d’artistes spécialisés. Parmi lesquels un certain Dominikos Theotokópoulos … plus connu sous le nom de El Greco. Plus de 2000 ans se sont écoulés depuis la mort d’Alexandre et les Grecs ont un peu oublié son passé antique. D’où une certaine incompréhension de la part des premiers voyageurs qui n’ont à leur programme que l’Acropole d’Athènes et le théâtre de Delphes.
Le temps des prédateurs
Les collectionneurs, eux, n’ont pas perdu de temps pour commencer leur moisson. Dès la fin du XVIIe s, Nointel rapporte de son voyage des plaques de marbre, aujourd’hui au Louvre, gravées de listes de citoyens athéniens « morts au champ d’honneur ». Au siècle suivant, l’ambassadeur Choiseul-Gouffier mène des fouilles sur l’Acropole dans les débris du Parthénon explosé depuis 1687. Les marbres ramassés forment l’embryon du département des Antiquités grecques du futur musée du Louvre inauguré en 1793. Le British Museum créé dès 1759 et a besoin de s’étoffer. C’est avec cette excuse qu’en 1801 Lord Elgin s’approprie « à la hussarde » les bas-reliefs du Parthénon, encore en place. Dans l’indifférence du gouvernement turc mais au grand scandale de son compatriote le poète Byron : « Aveugles sont les yeux qui ne pleurent pas à la vue de ces murs saccagés par des mains britanniques« .
La raison du plus fort
Il faut dire que les autorités ottomanes se fichaient bien de voir partir ces marbres et ces idoles d’un autre âge et d’une autre culture qui ne leur parlaient pas. Et puis, à la décharge de ces archéologues décomplexés, aucune règle n’encadre à l’époque les chantiers de fouilles. Pas plus que le commerce et l’exportation des objets d’art, qui relèvent plutôt de la loi de la jungle et de la raison du plus fort. L’enrichissement des musées – ce nouveau concept – justifie tout (Napoléon a donné l’exemple en Italie et en Allemagne !). Il est aussi le seul moyen de faire connaître l’art à un public qui n’a guère la possibilité de voyager. Et comment le faire sans lui montrer quelques originaux ? Dessinateurs et graveurs font certes des merveilles, mais les procédés de reproduction sont coûteux et limités.
Le miracle de la photo
Ils vont connaître dès le milieu du XIXe siècle un coup d’accélérateur grâce à cette invention magique qu’est la photographie. C’est ainsi qu’en 1842 le Langrois Girault de Prangey part à la conquête de la Grèce équipé d’un encombrant daguerréotype. Il en rapporte les toutes premières images des temples de l’Acropole encore marqués par les stigmates de la guerre d’indépendance. Précieux documents qu’il ne songe même pas à publier ! D’autres lui emboîtent le pas heureusement, à mesure que le matériel photographique devient plus maniable. La photo s’avère alors une aide précieuse pour les premiers archéologues en mémorisant les étapes de leurs découvertes. Elle permet aussi et surtout l’édition de livres et d’images à destination des voyageurs et des autres. En attendant les premières cartes-postales à la fin du siècle.
Blanc ou couleur, la fin d’un mythe
Ces images sont bien sûr en noir et blanc bien sûr, comme les moulages de plâtre des sculptures célèbres qu’on commence à diffuser. Ces embryons du produit dérivé permettent à chacun de faire entrer chez soi la Vénus de Milo dans le format de son choix. Cette vulgarisation s’accompagne de nouveaux malentendus de nouveaux débats. Dès le XVIIIe s, les premiers collectionneurs avaient distingué au creux des sculptures et des bas-reliefs des traces de polychromie. Preuve que temples et statues étaient à l’origine rehaussés de couleurs. Tout comme nos cathédrales médiévales. Exit donc le mythe d’une antiquité grecque toute de marbre immaculé. À la grande déconvenue de la plupart des amateurs dont beaucoup refusent même de croire à cette hérésie !
Infos pratiques
Paris-Athènes, naissance de la Grèce moderne.
Musée du Louvre (hall Napoléon), jusqu’au 7 février 2022.
Ouvert chaque jour, sauf mardi, 9h-18h.
Entrée du musée : 17€, gratuit pour les moins de 26 ans
Réservation d’un créneau horaire obligatoire : www.louvre.fr
Photo d’ouverture : Iakovos Rizos, Soirée athénienne, Athènes© National Gallery- Alexandros Soutsos Museum. Photo Stavros Psiroukis
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