Dans quelques semaines arrivent les vacances d’automne. Sur l’île de Ré, l’heure n’est plus à la baignade, mais l’île possède d’autres ressources que ses plages de sable fin. À défaut de les emmener au bain, pourquoi ne pas conduire vos enfants…au bagne !
Chanté par Léo Ferré, raconté par Henri Charrière (alias Papillon), le Bagne stricto sensu n’existe plus depuis longtemps, mais le mot est resté pour le pénitencier de Saint Martin de Ré. Et même si on ne les envoie plus à Cayenne, on y parle toujours des « bagnards ». Les anciens se souviennent encore, dans les années 1930, des prisonniers embarquant sur le port de Saint-Martin pour Saint-Laurent du Maroni. Les sabots résonnant sur le pavé, les volets fermés d’où s’échappait un cri, un prénom… Embarquement sur La Martinière, pour une traversée sans retour. Le Bagne n’existe plus, mais la maison d’arrêt existe toujours dans la Citadelle de St Martin et rares sont ceux qui ont réussi à s’en évader.
Le Bagne, c’est l’ennui
Outre la privation de liberté, le problème de la prison c’est l’ennui. « on y voit passe les nuages… » chantait Ferré. Comme les nuages, le temps passe lentement derrière les barreaux. On le meuble en imaginant des plans d’évasions, forcément vouées à l’échec, mais pas toujours. Un des derniers fut Claude Tenne, militant de l’OAS qui se fait la belle en 1967 dans une malle supposée pleine de livres ! Malgré l’alerte immédiate, Tenne réussit à passer le bac (le pont n’existait pas encore) et à échapper aux poursuites. Parmi les détenus célèbres, Alfred Dreyfus passa quelques semaines à Saint-Martin en 1895 avant d’embarquer pour l’île du Diable. Lui eut du moins la chance d’en revenir, ce qui est rarement le cas des autres. Leur peine accomplie, ils sont « libérés » mais on ne leur offre pas le voyage de retour.
Alias Papillon
Henri Charrière a raconté tout cela sous le joli pseudo de Papillon. Interné pour meurtre, il embarque en 1933, pour Saint-Laurent du Maroni où il travaille comme aide infirmier à l’hôpital colonial. Une bonne planque a priori, dont il parvient tout de même à s’évader en 1944 pour s’installer à Caracas. C’est alors que devenu Papillon, il rédige le récit de ses aventures, quelque peu romancé et forcément contesté. Peut-être… l’ouvrage lui apporte néanmoins argent et célébrité lui permettant de vivre honnêtement et bourgeoisement jusqu’à sa mort en 1973. Il est aussi des manières sans risques et autorisées de s’évader, par l’art ou l’imaginaire. L’enfermement développe aussi chez certains une réelle vocation d’artiste. Le musée de Saint Martin leur rend hommage en exposant leurs œuvres.
L’art de se faire la belle
Si l’occasion fait le larron, le larron se fait à l’occasion artiste pour occuper sa détention, et aussi pour se constituer un petit pécule pour « après ». Une vocation qui ne se serait sans doute par révélée s’il avait suivi une vie normale. La déportation permet ainsi au malfrat de se découvrir des talents insoupçonnés, qu’il n’aurait jamais développés dans la vraie vie ! Il n’aurait jamais vu les paysages luxuriants de la Guyane ni ressenti l’envie de fixer cet exotisme sur la toile ou le papier. Il en sort des images pittoresques des populations indiennes, costumes, habitations, vues du fleuve… Ces tableaux colorés trouvent facilement preneurs, auprès des fonctionnaires de passage (les visiteurs sont rares). Ils permettent d’améliorer l’ordinaire de la taule et de se constituer un petit pécule pour le jour de la libération.
Signatures
Certains de ces voyous ont ainsi réussi à faire passer leur nom à la postérité. Eugène Verlaine, poète à sa manière, voleur impénitent et dessinateur de métier, arrivé à St Laurent en 1928 en disparaît trois ans plus tard. Outre ses peintures, il est aussi l’auteur d’un recueil de musique « Souvenirs de Guyane », preuve existence d’un orchestre au Bagne. Louis Grilly, n’a que 22 ans quand il embarque pour la Guyane en 1921. Après plusieurs tentatives d’évasion, ce délinquant précoce devient « peintre en travaux » pour l’administration. Il peint dans une palette joyeuse et colorée, la forêt, le fleuve Maroni, des scènes amérindiennes observées durant ses cavales. Libéré en 1943, il meurt en Guyane en 1970.
Autres voyous
Valentin Pourcillot né en 1892 a d’abord tâté de la maison de correction. Voleur et déserteur, il est aussi photographe et dessinateur. Condamné pour recel de vêtements, il vole aussi du matériel pour ses peintures ! des tableaux aux couleurs saturées qui reproduisent la vie du bagne à Cayenne où il meurt en 1937, à 45 ans. Francis Lagrange, alias « Flag », arrive en Guyane en 1931. Faux-monnayeur, affabulateur il se vante d’avoir volé et copié et un tableau de la Renaissance italienne ! Son talent de peintre lui inspire des paysages, portraits, scènes galantes, d’images de la vie au bagne. Et aussi un livre : Flag on the Devil’s Island ». Libéré en 1942, Flag finit ses jours en Martinique en 1964.
Le mystérieux
Quant au mystérieux LK, il s’agirait d’un certain Emile Voillard doté d’un joli talent de caricaturiste. On lui doit de savoureuses saynètes de la vie au bagne, qui montrent que la prison ne fait pas perdre le sens de l’humour à ceux qui l’ont. Une façon comme une autre de résister à l’enfermement et à l’enfer tout court.
Infos pratiques
Peindre le Bagne
Musée Cognacq-Jay
13 Avenue Victor Bouthillier
17410-Saint Martin de Ré
Jusqu’au 13 novembre 2024
https://www.musee-ernest-cognacq.fr
Photos Françoise Deflassieux
Photo d’ouverture de l’article : L’entrée de l’enclos du pénitencier.
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